Dans Les revenants, Laura Kasischke pose la question qui hante toutes les chaumières américaines : les morts peuvent-ils revenir dans le monde des vivants ? Mais nul zombie ne pointe le bout de ses doigts crochus par ici, oh non, ce n’est pas du tout le style. La question est présentée de manière scientifique par un des personnages, Mira Polson, une anthropologue spécialiste de la mort et professeure temporaire dans une université du Midwest. Elle inventorie le folklore associé au mythe du mort-vivant dans les Balkans, et propose un séminaire sur la mort très apprécié par les étudiants (où l’on y apprend des tas d’anecdotes horribles et délectables).
Parallèlement, le campus est secoué par la mort accidentelle de la jeune et belle Nicole Werner, brillante étudiante de première année, alors qu’elle se trouvait dans la voiture conduite par son petit copain. Dès le départ, une différence est faite entre ce qu’a vu Shelly, témoin de l’accident, et ce qu’en ont relaté les journaux. Certains étudiants parlent de phénomènes étranges survenus dans leur résidence. Ce concentré d’hystérie, de fantasmes et de morbidité, que l’on suit avec la distance temporelle de quelques mois avant, et de quelques mois après l’accident, n’est pas sans attirer l’attention de Mira, mais aussi d’autres personnages liés au drame.
« La scène de l’accident était exempte de sang et empreinte d’une grande beauté. » (incipit)
Le fil rouge (sang) de cette histoire – soit la mort et la croyance en la possibilité d’un retour des défunts – était tout indiqué pour Laura Kasischke. L’idée de le transposer dans le contexte d’un campus américain anonyme de nos jours, en lieu et place de la chaîne des Carpates au XVIIe siècle, n’est pas sans attraits ; d’autant plus que l’auteure a enseigné l’art poétique au niveau universitaire et qu’elle croque à loisir les usages particuliers de ce milieu : ses fraternités et surtout ses sororités estudiantines toutes-puissantes, ses bizutages, ses bâtiments néogothiques, son puritanisme – et les tics des étudiants américains (le coup des jeunes gens qui se baladent en tongs en plein hiver a dû énormément la choquer, ça revient plusieurs fois). Où l’on se dit avec un frisson que jamais, au grand jamais, on n’aurait souhaité intégrer une sororité : au-secours l’enfermement mental, le sadisme et l’uniformisation des esprits.
Les petits détails font parfois plus que des visions horrifiques pour planter le décor : exemple, ce corbeau empaillé à moitié en lambeaux, dans le bureau d’un doyen tout ce qu’il y a de plus conventionnel.
Certains personnages sont attachants, d’autres mystérieux, pathétiques, ou carrément détestables. Chacun est important. Mention spéciale à la fine approche psychologique de Shelly. On voit nettement le piège se fermer sur certains personnages, la dissonance cognitive qui les guette, ce qui nous tord un peu le ventre durant les deux premiers tiers du livre. Le tour de passe-passe final donne une explication partielle mais le duel réalisme/fantastique n’est jamais vraiment tranché, chacun choisit la voie qu’il préfère. Comme le dit la citation placée en exergue (d’un certain Montague Summers, auteur de The Vampire : His Kith and Kin) : « On s’empêtre dans un pénible dilemme quand on se demande si ces apparitions sont naturelles ou bien miraculeuses ». L’épilogue nous laisse un peu sur notre faim (comme tous les épilogues).
J’ai cependant ressenti un certain ennui au milieu du roman : trop de longueurs (près de 600 pages tout de même), trop de flash-backs et de détours vers des intrigues secondaires qui auraient presque pu relever de petites nouvelles dans le roman (ah Mira et ses ennuis avec sa famille qui tournent insidieusement au vinaigre… ). Contrairement aux deux premiers romans que j’avais lus d’elle, celui-ci est un peu moins introspectif car il n’a pas véritablement un seul personnage principal. Il m’a semblé également un peu moins cru dans ses descriptions olfactives, même si certains passages font tout-à-fait froid (littéralement) dans le dos.
Bref une bonne lecture de vacances (préférez-la l’été), plutôt facile à lire si vous aimez les pavés, mais instructive, légèrement addictive. Une critique du Chicago Tribune sur la 4e de couv’ parle d’une « prose splendide » ; je l’ai trouvée d’un niveau correct, mais pas parfait pour ma part, alors j’en déduis que la traduction n’est pas excellente.
« Les revenants » de Laura Kasischke, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille, Christian Bourgois, 2011, 590 p.
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