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Une Misa Criolla mystique au Festival d'Innsbruck

Publié le 14 août 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco

Le Festival de musique ancienne d'Innsbruck a eu, pour sa traditionnelle soirée 'Open Mind', la brillantissime idée d'inviter l'ensemble La Chimera, que dirige, anime et stimule Eduardo Egüez, accompagné de ces incomparables solistes que sont Bárbara Kusa et Luis Rigou et de l'excellent choeur frioulien Coro del Friuli Venezia Giulia pour une soirée musicale placée sous le signe des musiques liturgiques indiennes. Le concert a eu lieu dans le somptueux écrin de l'église jésuite de la Trinité à Innsbruck. On sait que les Jésuites ont évangélisé l'Amérique du Sud, aussi le magnifique cadre baroque de la Trinité convenait-il parfaitement au programme proposé: une rétrospective de la musique religieuse indienne argentine couronnée par la fameuse Misa Criolla que composa Ariel Ramírez en 1963.


La Chimera a organisé le spectacle comme une liturgie mystique participative avec ses moments de recueillement méditatif, avec son inspiration religieuse authentique émanant des profondeurs les plus intimes de la foi populaire, avec son attention au souffle et une marche progressive vers la jubilation et l'exaltation de la joie. Bien plus qu'un spectacle ou qu'un concert, cette soirée est un partage. La musique s'élève et bientôt l'assistance est prise dans la montée des voix du choeur qui s'avance lentement du fond de l'église par les allées latérales, emportant à son passage l'attention du public conduite cérémoniellement vers le choeur de l'église de la Trinité, l'endroit où les chanteurs et les instrumentistes vont de leurs musiques spirituelles invoquer l'Esprit et le donner en communion aux oreilles et aux coeurs. Sortilège de la musique et de la foi. Quatre violes de gambe, le violon magique de Margherita Pupulin, un violoncelle, une harpe , une contrebasse, un charango, -cette petite guitare andine-, la guitare et le luth d' Eduardo Egüez constituent ce soir l'ensemble que ce dernier conduit avec son intelligente bienveillance vers de mystiques harmonies.

La Chimera, les chanteurs et le choeur nous convient à pénétrer l'univers joyeux du chant chrétien des Indiens du Sud des Amériques que décrivait déjà en 1771 José Cardiel dans sa Brève relation des missions du Paraguay, qui évoquait les missions jésuites auprès des Indiens Guarani:

" Tous les jours ils chantent et jouent la Misa [...]. Lorsque la messe commence, ils jouent des instruments de bouche et parfois des instruments à cordes, et même parfois les deux sortes d'instruments mêlés les uns aux autres [...]. Ils chantent en toute harmonie, ampleur et dévotion qui attendriraient le cœur le plus dur. Et comme ils ne chantent jamais avec vanité et arrogance, mais en toute modestie et avec l'innocence des enfants, et la qualité de leurs voix est telle qu'elle pourrait briller dans les meilleures cathédrales d'Europe, ils inspirent une grande dévotion".

Les mots de Cardiel évoquent exactement ce à quoi La Chimera nous invite et l'esprit qui anime cet extraodinaire ensemble et les chanteurs interprètes qui ce soir l'accompagnent. D'abord la soprano Bárbara Kusa dont la voix claire et chaude s'élève vers la coupole comme une calligraphie qui ensorcelle et retient le public captif dans les entrelacs de ses pleins et de ses déliés. Cette captivité n'est en aucun cas un enfermement, c'est celle d'un ravissement envoûtant qui appelle à la transformation et à la communion des coeurs. Une chanteuse argentine à la voix éclatante de fermeté aurifère à laquelle vient répondre et s'unir dans une relation mezzo voce le chant inspiré et mystique, plus intériorisé, de Luis Rigou (aussi connu sous son nom d'artiste, Diego Modena) qui semble encore davantage communiquer les vibrations puissantes de son âme que celles, fort belles et poignantes, de ses cordes vocales. Luis Rigou semble puiser son inspiration musicale dans les profondeurs d'une vision intérieure brûlant d'une ferveur divine authentique. Sans doute la soirée s'inscrit-elle entièrement dans un environnement et une liturgie chrétiennes, mais ses interprètes nous entraînent vers une communion spirituelle plus universelle, celle du Souffle sacré qu'expriment les termes grec du "pneuma" ou hébreu de la "ruah". Luis Rigou exhale le souffle qui l'anime par son chant et par les instruments indiens dont il a la parfaite maîtrise, flûte quena des Andes, flûte de pan andine, flûte traversière et jusqu'au cor andin qui rappelle quelque peu notre cor des Alpes.

La liturgie musicale de cette soirée inoubliable se termine en apothéose par les magnificences de la Misa Criolla dans laquelle les harmonies chorales se marient aux harmonies instrumentales, de la même façon que s'y rencontrent les réminiscences de la musique baroque et la spontanéité joyeuse de la musique et des rythmes andins.

Il est de ces soirées qui vous soulèvent, vous transportent et vous transforment. La Misa Criolla orchestrée par l'ensemble de La Chimera en l'église de la Trinité furent de celles-là!


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