Ta vie ou la mienne est un roman facile à lire, qui se lit vite et qui est néanmoins très profond. Tout y semble (j'emploie ce verbe parce que c'est une fiction) authentique : les rapports de classe, entre bourgeois et milieu populaire issu de l'immigration (comme il est de bon ton de le dire), le football (et le découvrir alors que le Mondial bat son plein est un contexte amusant) et la prison.
François est un gosse de riches désintéressé et honnête qu'Hamed avait fini par respecter puis admirer (p. 26). Son père est un personnage truculent qui n'est pas tout blanc ni tout noir, riche, à l'embonpoint généreux. C'est un ancien joueur de foot, et il va initier Hamed à ce sport tout en le prévenant, à l'instar du poète uruguayen Eduardo Galeano que "le football est la chose la plus importante des choses sans importance".
Il lui fait prendre conscience que pour exceller dans ce sport, comme dans la vie, il faut avoir plusieurs coups d'avance. La clé c'est anticiper, ne pas se laisser surprendre.
Hamed ne retiendra que la première partie de la leçon. Il excellera au football, sera recruté par le célèbre club de l'AJ Auxerre alors dirigé par Guy Roux, l'homme au bonnet, devenu entraineur à 23 ans, seul alsacien que je connaisse à parler avec l'accent bourguignon. (Mon unique reproche à Guillaume Para est d'avoir insuffisamment fait vivre le stade de l'abbé Deschamps où j'ai gagné ma première -et unique- médaille sportive). Mais pour ce qui sera de sa vie, il sera en quelque sorte victime de ses valeurs.
Hamed essaie de préserver Léa, elle aussi une gosse de riches, en la mettant en garde : à kiffer sur des gens trop différents de toi, tu vas morfler (p. 55). Lui il est des Beaudottes, Sevran 9-3, habite place du 18 juin, Léa réside au Parc de Montretout. Elle lui répond en citant François Mauriac : envier des êtres que l'on méprise, il y a dans dans cette honteuse passion de quoi empoisonner toute une vie.
On assiste à un combat, comme un défi, une mise en garde de jeunes coqs. Hamed est de tous celui qui mesure apparemment le plus le poids des codes. Guillaume Para a un style extrêmement prenant, et les dialogues sont criants de vérité. On a envie de citer chacun de ses mots tant ils sont justes. Le manque de confiance d'Hamed est pathétique. On le voit prendre vie au fil des mots et on se dit qu'il y a là matière à un scénario : Écoute. On ne va pas se mentir: ça ne sert à rien d’essayer, tous les deux. Toi aussi tu me plais, t’es la plus jolie fille de ce putain d’endroit, mais ça ne marchera pas. Tu sais pourquoi? Parce que les "jeunes de banlieue", leur vie pue, et tu t’en rendras compte bien assez tôt. Ça pue la merde dans nos cages d’escalier, nos parents puent la sueur quand ils rentrent du boulot, nos salons puent le désodorisant pour chiottes. Moi-même, je pue la défaite. Tu crois qu’être pauvre, c’est quoi? Être pauvre, ça pue, et ça a un goût, celui du sang dans ma bouche quand mon père me tabassait. Je veux pas te faire pleurer, Léa, mais circule, y a rien à voir. Toi et moi, ça pue le malheur.
Le lecteur ne le découvrira que plus tard, mais Léa a de bonnes raisons de se reconnaitre dans la rage du garçon et ses paroles ont l'effet inverse. Elles n'éloignent pas la jeune fille, bien au contraire. Elle le sait bon, Hamed est buté : on ne fuit pas ce que l'on est alors que Léa le voit endoctriné par la fatalité.
Hamed ne supporte pas l'injustice. Il défendra François contre ceux qui l'attaquent parce qu'il est blanc, mais il ne supportera pas davantage qu'on le juge (à tort) comme une kaïra. Et plus tard il se dénoncera à la police pour protéger Léa, mais on n'en est pas encore là.
Ce n'est pas un hasard si la pièce que Léa lui fait découvrir au théâtre est Cyrano de Bergerac (p. 75). J'y ai vu la préfiguration du drame quand, depuis le toit terrasse de l'Odéon (qui théoriquement n'est pas ouvert au public) Hamed se fait la promesse de libérer la jeune fille du mal qui la ronge...
Ce livre magnifique m'aurait presque fait aimer le football. Il faut reconnaitre à l'auteur une compétence particulière pour nous accrocher. Il y a beaucoup de sacrifices dans ce livre, par plusieurs personnages, tous hauts en couleur, et je ne vais pas en spoiler la fin mais on rêve que tout finisse par s'arranger. Il faudrait pour cela pouvoir bénéficier d'une seconde chance. En tout cas il appartient à cette catégorie de romans qu'on a envie de relire plusieurs fois et de recommander largement.
Guillaume Para a 35 ans. Journaliste politique passionné de football, Ta vie ou la mienne est son premier roman et par chance pour nous il est en train d'écrire le second.
Ta vie ou la mienne de Guillaume Para, chez Anne Carrière, en librairie depuis le 9 février 2018