J'en suis sortie sonnée. Il aurait fallu me prévenir du niveau de violence que j'allais devoir absorber. J'aurais, je ne peux pas dire "apprécié", mais du moins accepté la forme qui est au service du fond.
J'ai appris, depuis, qu'en Suède on dit "déprimant comme du Lars Noren". C'est clair.
Ceci étant, la performance des comédiens est immense, même si je leur reproche quand même de n'avoir pas l'âge de leurs personnages, et cela se voit quand on est au second rang.
Ils ont choisi le parti-pris d'un jeu ultra réaliste qui, conjugué à une écriture sans concession, fait forcément mouche. Le collectif, créé en 2014 entre onze camarades du Cours Florent, porte bien son nom de la Fièvre.
A peine est-on entré dans le théâtre que l'on craint qu'il y aura du grabuge. Trois jeunes baraqués sont assis devant le rideau de scène, face au public, le regard dans le vide. Ils n'ont pas l'air de "jouer" et on se demande si ce sont des spectateurs égarés ...
C’est la fin des cours. Keith, Anders et Ismael boivent, s’enivrent pour combler l’ennui ou la peur du futur. Au-dessus d’eux plane le souvenir d’un quotidien violent vécu depuis la plus tendre enfance, une douleur qu’ils arrivaient jusqu’ici à canaliser. Leur seul réconfort, être ensemble, partager les mêmes idées.
Et ça explose vite rapport à leurs visions liées à l'ivrognerie. Ce n'est pas parce qu'on sait pertinemment que Salam signifie paisible en hébreu qu'on est pacifique à l'égard d'un camarade de classe qui s'appelle Salam, bien au contraire : Les musulmans sont pas des humains (...) on n'a pas fait la guerre avant d'avoir tué son premier ennemi (...) on n'était que sept blancs dans ma classe.
Personne ne dit mot dans la salle. Le silence est long et épais. Les sapins qui composent le décor de fond de scène semblent artificiels. Tout parait factice, décalé. Les cadavres de canettes écrasées semblent paradoxalement très vraies. Les comédiens qui crachent leur racisme (Romain Bouillaguet comme Alexandre Gonin) seraient plus crédibles en rebeu qu'en suédois BCBG. La blondeur d'Axel Giudicelli n'est pas un gage de douceur ou de tempérance.
On respire quand Anders propose d'aller plonger dans le lac. On croit encore que tout va rentrer "dans l'ordre". C'est une illusion.
Beaucoup de gens pensent comme Keith : Si les gens préfèrent vivre avec les leurs et vivre dans le pays que leurs ancêtres ont fondé et qu’ils veulent pas se mêler à d’autre races... Je dis pas qu’elles valent moins ou qu’elles ont pas le droit d’exister, mais ces gens là doivent pas venir et s’imposer dans les autres cultures et les religions et réclamer ce qu’un autre peuple a bâti juste parce qu’ils sont persécutés dans leur propre pays et demandent l’asile. Il arrive une foule de gens du monde entier, bientôt on va couler, merde...
Jusque là on pourrait presque penser que ce n'est pas grave, mais la bascule a lieu quand il donne sa définition de la liberté : Celui qui prend sa liberté est libre. Elle est pas donnée. Y a personne qui te la donne. Faut la prendre soi-même, si on la veut. Faut être prêt à mourir pour ça. Sinon on est pas libre.
Leur programme estival est flippant : haïr, tuer et plonger. On pourrait ajouter boire en les regardant aligner les bâtons à la craie sur le tableau de leurs défis.
Karl passe par là. Il représente tout ce qu’ils n’ont pas, une famille, de l’argent, des amis. La chance d’une réussite sociale. À travers lui la haine monte en eux, pas seulement celle de l’étranger, mais celle du monde capitaliste globalisé dont ils croient pouvoir (devoir ?) sauver leur pays. Il fera les frais de leur folie.
Karl (Edouard Eftimakis), censé être d'origine asiatique, et qui ne semblera pas davantage être dans son emploi, comme on dit au théâtre. C'est peut-être à la réflexion une des forces de ce spectacle. C'est encore plus dérangeant, la prouesse des comédiens est plus forte, et surtout leur aspect physique instaure une distance qui permet au spectateur de ne surtout pas s'identifier.
A l'instar de Karl qui ne correspond pas à l'image de la Suède de ses camarades, aucun des comédiens ne colle à l'idée qu'on se fait de leurs personnages.
Ils sont très impliqués dans ce projet, porté par Alex alors que Romain l'a mis en scène (avec Emmanuel Pic). Ils disent n'avoir pas cherché à monter une étude sociale. C’est un moment de vie fragile comme n’importe quel autre, qui peut à chaque instant basculer dans la mort.
Je me suis demandé si l'apologie de la violence pouvait être dénonciatrice.
Le dernier geste d'Ismaël, apparemment banal, d'effacer le nom de Karl sur le tableau fait autant frémir que la scène de mise à mort qui a précédé. Le spectacle veut s'adresser aussi à un public d'adolescents (il est recommandé à partir de 14 ans). Pourquoi pas, mais avec me semble-t-il un accompagnement pédagogique, ce que propose d'ailleurs le Collectif.Entre 1973 et 2008 il publie plus d’une quarantaine de pièces de style contemporain. Il utilise un style provoquant afin de mettre en lumière une réalité noire généralement occultée. Une écriture poétique minimaliste, qui vulgarise le faussement anodin du quotidien des êtres prisonniers de notre monde intransigeant.
Ses œuvres dépeignent un monde sombre et amènent à la réflexion sur la place de l’Individu dans la société, le rôle de celle-ci à comprendre et aider ceux qui souffrent. Il s'est inspiré de faits réels pour écrire Froid.
Froid de Lars NorenDu 6 au 29 Juillet 2018 à 11h30Relâche les lundis 9, 16 et 23 JuilletAu Théâtre du Train Bleu • 40, Rue Paul Sain • 84000 Avignon • Tél : 04 90 82 39 06