Au premier abord, l'idée paraît évidente. Que le bitcoin et ses homologues soient considérés comme des devises ou des actifs, le métier de la banque est et a toujours été (au moins en partie) d'assurer le stockage d'instruments de ce genre pour le compte de ses clients. En fait, il existe même une réglementation fédérale qui impose le recours à un intermédiaire pour la conservation de fonds au-delà de 150 millions de dollars, sur laquelle pourraient s'appuyer les tentatives de lancement des nouvelles offres.
Du point de vue des clients potentiels, et d'autant plus que la cible privilégiée serait donc principalement les détenteurs de portefeuilles importants, l'attrait d'un établissement traditionnel pour le dépôt de leur crypto-patrimoine reposerait classiquement sur la confiance qu'il inspire. En la matière, il est question autant de la conviction de la robustesse et la pérennité de l'entreprise (fondée sur sa réputation) que des protections qu'induisent automatiquement les réglementations auxquelles elle est soumise.
Ce sont des qualités que n'ont évidemment pas les acteurs qui proposent dès aujourd'hui aux détenteurs de crypto-monnaies de leur confier leur précieux trésor. Tous sont des startups, souffrant collectivement d'une réputation mitigée en raison des cyber-attaques dramatiques dont les plus fragiles sont régulièrement victimes. Et, bien qu'elles bénéficient généralement d'un statut officiel, les exigences qui pèsent sur elles sont relativement limitées et pas toujours suffisamment rassurantes pour leurs clients.
Les banques sauront-elles profiter d'auspices aussi favorables ? Hélas, rien n'est moins sûr. Le premier handicap dont elles souffrent dans cette course est leur lenteur proverbiale. En effet, du côté des startups, les solutions sont d'ores et déjà disponibles, tandis que, pour elles, il ne s'agit que d'hypothèses et de conjectures qui, si elles aboutissent, engendreront des projets de plusieurs années (dont le résultat pourrait, en outre, être décevant). En attendant, la confiance a le temps de basculer…
Une autre faiblesse structurelle des institutions financières est leur lourdeur, qu'elle soit due au poids légitime des réglementations qu'elles doivent respecter ou à leur culture. Son impact peut être dévastateur à la fois sur l'expérience utilisateur – lors des opérations d'ouverture de compte, de dépôt et de retrait – et sur les coûts du service, en particulier face à la concurrence de jeunes pousses agiles et nativement technologiques. Ce ne sont pas les meilleurs arguments pour convaincre des clients qui, de surcroît, tendent (pour l'instant) à être réfractaires au système bancaire en place.
Cependant, la question majeure qui se pose face à ces rêves de crypto-coffre-fort, est de savoir si les établissements historiques oseront franchir le pas. Quand les mêmes refusent d'entrer en relation avec de jeunes pousses lançant un projet autour du bitcoin ou quand elles ferment sans avertissement les comptes de petits traders du dimanche, il est tout de même difficile de les imaginer devenir dépositaires industriels de crypto-monnaies ! Sauf, peut-être, pour une éventuelle frange infime de grands groupes « de confiance » qui s'aventureraient par hasard sur ce territoire.
Si, enfin, la réglementation finit par effacer leurs hésitations (seul un texte officiel y parviendra, vraisemblablement), il leur restera encore un obstacle de taille à lever : trouver l'audace d'explorer un domaine certes proche de leur métier d'origine mais aussi totalement inconnu. Serait-il tellement surprenant que se rejoue là le même scénario que dans la gestion d'identité numérique, pour lequel l'alignement de planètes était idéal mais dont les implications en termes de responsabilité ont découragé le développement ?