Je suis loin de sacraliser le sport, pour toutes les raisons qui sont d'ailleurs perceptibles dans le spectacle écrit par Maxime Taffanel. On inflige trop de violence, en premier lieu à soi-même, au cours des entrainements inhumains (de mon point de vue) pour que je cautionne que le sport soit excellent pour la santé.
Mais ne débattons pas de cela, et je respecte immensément l'ancien champion (ancien est un terme odieux, car il l'est toujours à mes yeux - champion). La pièce est un seul en scène où le comédien occupe tout l'espace.
Maxime Taffanel connait très bien le sujet puisqu'il a été pendant toute sa scolarité, nageur de haut niveau. Quand on est dans une telle position l'entrainement est quotidien, matin et soir. Chaque week-end était évidemment consacré aux compétitions. Si les sacrifices sont immenses ils sont acceptés dans l'espoir de remporter l'objectif que l'on s'est fixé et il est facile d'imaginer les déceptions de beaucoup de jeunes athlètes lorsque les marches des podium sont inaccessibles.
J'espère que le public parisien aura vite l'occasion d'admirer la performance ... qui mérite un Molière ! Nous sommes nombreux à l'avoir loupée à Vanves en mai dernier. La tournée passe par Jouy-le-Moutier (95) le vendredi 14 septembre 2018 mais c'est tout de même un peu éloigné de la capitale.
L'artiste a eu lui-même l'idée de ce spectacle dont il a écrit le texte et qu'il interprète.
Pour raconter l’histoire de Larie, jeune nageur, passionné par sa discipline. Il nage et questionne "la glisse". Il suit le courant en quête de sensations, d’intensité et de vertige. Au rythme de rudes entraînements, et de compétitions éprouvantes, il rêve d’être un grand champion. Son récit témoigne de ses joies et de ses doutes, "au fil de l’eau".
En devenant comédien il a décidé que son expérience du nageur de haut niveau nourrirait le texte. Avant de le voir je n'aurais pas cru possible qu'on m'explique de manière aussi onirique et néanmoins exacte ce que pouvait être apprentissage de la "culbute", la découverte de la glisse, son rapport avec l’eau, l’entraînement et ses violences, la compétition et l’étrangeté de ses rituels, les courses, les défaites, les remises en question, le chant des sirènes...
S'il y a bien une chose qu'on ne peut pas faire sous l'eau, c'est parler. Et Maxime le mutique, comme il le dit lui-même, est devenu soudain prolixe.
S'il y a bien une chose qu'on ne peut pas faire sur terre, c'est nager. Et pourtant Maxime y parvient comme un poisson qui réussirait à vivre hors de l'eau.
Je me suis vraiment interrogée au début de la représentation dans une salle surchauffée et bondée ... jusqu'au moindre espace sur les marches. L'homme est en "survet" comme on disait au collège. Il nous scrute, seul, comme perdu sur le plateau qui semble immense tant il est vide. J'ai presque souri en me demandant comment il allait bien pouvoir évoquer une piscine ...
Et pourtant, oui, il suffira d'un regard, d'une esquisse de geste, prolongée par l'ombre noire de sa silhouette sur le mur coté cour, pour faire vivre Larie, ses déambulations à travers les bulles, et partager sa passion de la natation jusqu'au vertige.
Il a huit ans. C'est son premier entrainement et il va commencer par la culbute, c'est comme ça qu'on appelle le retournement qu'on fait en bout de bassin pour repartir dans l'autre sens en perdant le moins de temps possible.
Si j'avais eu un tel prof j'aurais réussi ce qui restera définitivement une prouesse pour mes petits muscles. C'est un plaisir immense de le voir mimer l'enchainement qui devient une musique, prenant le dessus sur ce qui n'aurait pu être "qu'une" chorégraphie. La douleur devient sourire et le public ne peut retenir un rire communicatif.
Chaque nage a son tempo, son nombre de battements par minute, prouvant que c'est avant tout une musique que Maxime nous fait entendre successivement. La brasse se joue à 40 bpm, le papillon à 60 et le crawl 70. Le dos c'est plus encore avec 80.
J'apprends qu'on est "dossiste", "papillonneur", "brasseur" ... le lexique devient animal. Faut penser lion, tigre ou plutôt un chat qui trempe ses pattes dans du lait pour satisfaire les exigences de l'entraineur.Nous on ricane, parce qu'on ne sait rien des souffrances que les sacrifices impliquent mais on les ressent quand retentissent les notes si connues de la Danse des chevaliers du Roméo et Juliette de Prokofiev et on ressent alors combien cette union entre Elle (l'eau) et Lui (le jeune homme) a pu être riche de bonheurs et de souffrances aussi. Les arguments du coach seraient drôlissimes s'ils n'étaient pas exacts.
Le diable c'est le chronomètre qui impose la symphonie des souffles coupés. Cet objet sur lequel le coach a les yeux toujours rivés alors que nous, spectateurs, nous n'avons d'yeux que pour la performance de l'acteur, en maillot, en bonnet, en lunettes, tout en muscles ... il exerce une véritable fascination à vouloir ainsi exercer une phase d'intimidation, comme il le prétend.
L'homme a des muscles, magnifiques, qu'il fait d'ailleurs bouger d'une manière insensée au cours de sa performance. Mais il a aussi un cerveau qui carbure.
Je ne serai jamais un champion, finit-il par lâcher alors qu'il est épuisé, à tordre comme une éponge. Il réalise que tout ça c'est du cinéma ... dans une pensée qui est peut-être prémonitoire à une carrière de comédien. Devenir champion de cent mètres papillon ce n'est peut-être plus possible mais s'accomplir comme acteur brillant cent fois oui.
Après avoir quitté les bassins, Maxime Taffanel a suivi un autre entrainement celui de l'ENSAD de Montpellier (2009/2012), sous la direction d'Ariel Garcia Valdès avant d'intégrer la Comédie-Française comme élève comédien (2012/2013), la même année que Nelly Pulicani qui signe la mise en scène du spectacle. Ensemble et avec quelques autres camarades ils ont créé le Collectif Colette. Ils ont adapté Pauline à la plage d’après le scénario d’Eric Rohmer qui a été joué notamment au Théâtre de Vanves, au TNB et à Beyrouth. Cent mètres papillon est leur second spectacle.
Cent mètres papillon
De et avec Maxime Taffanel
Mise en scène : Nelly Pulicani
Création musicale : Maxence Vandevelde
Lumières : Pascal Noël
Conseils costumes : Elsa Bourdin
Du 6 au 26 juillet 2018 à 16h25
Relâche les 12 et 19 juillet 2018
A La Manufacture • 2 rue des Écoles • 84000 Avignon • Tél : 04 90 85 12 71
Tournée Saison 2018 – 2019 :
Laval (53) dans le cadre du Festival le Chaînon manquant : 11 ou 12 septembre 2018
Jouy-le-Moutier (95) vendredi 14 septembre 2018
Valence (26) Comédie-Théâtre itinérant en septembre-octobre 2018
Saint-Jacques de Lalande (35) : jeudi 4 octobre et vendredi 5 octobre 2018
Toulouse (31) Théâtre Sorano : vendredi 16, samedi 17 novembre 2018
Rouen (76) : mercredi 9, jeudi 10 et vendredi 11 janvier 2019
Amiens (80) : vendredi 18 janvier 2019
Noisy-le-Sec (93) : samedi 9 février 2019
Forum Jacques Prévert de Carros (06) : vendredi 25 janvier 2019
Béziers (34) : 4 représentations - février 2019 (en cours de calage)
La Talaudière (45) : samedi 9 mars 2019
Théâtre du Donjon de Pithiviers (45) : vendredi 5 avril 2019
Gap (05) : mardi 7, jeudi 9, vendredi 10 mai 2019
Angers (49) dans le cadre Temps fort émergence : 7 et 8 juin 2019.
Les photos sont de Ludo Leleu
A signaler aussi un autre spectacle sur le thème du sport, et lui aussi brillamment interprété, revenu cet été en Avignon, Anquetil tout seul
Aux 3 Soleils • 4 rue Buffon • 84000 Avignon • Tél : 04 90 88 27 33