Le crayon vert

Publié le 11 août 2018 par Do22

Je suis allée hier au magasin pour m'acheter un porte-mine. J'en avais un que je n'aimais pas et j'avais perdu celui que j'aimais, le rouge à pointe fine 0,5 mm. Ça arrive quand on voyage et qu'on déménage assez souvent ;-).

Arrivée dans la rangée où se côtoyaient au moins 12 sortes de porte-mines différents , j'ai trouvé celui que je voulais, le rouge. Je l'ai pris.

Celui juste derrière était vert. Ma main est allée toute seule le prendre aussi, sans que mon mental ne puisse l'empêcher pour une quelconque raison. J'ai souri intérieurement en le prenant et ai fait taire ma raison qui me disait de ne pas le prendre.

Je n'ai pas vraiment besoin de deux porte-mines, quoique, en avoir un dans mon sac et un sur ma table de travail est plus pratique que un que je dois tout le temps sortir et remettre dans mon sac. C'est vrai, dans le fond. Au prix qu'ils sont, je serais bête de m'en priver.

Mon mental a quand même posé la question à mon âme : " Pourquoi tu veux un crayon vert alors que celui que tu aimes est rouge ? En plus, tu n'aimes pas le vert ! ".

Ce n'est pas tout à fait vrai que je n'aime pas le vert. Je ne porte pas de vert et n'ai pas de vert dans mon environnement physique, à part la nature dehors et les plantes d'intérieur que j'aime beaucoup. Pas de vêtements, de draps, de linges, de cahier, de stylo ou autres accessoires verts.

L'ensemble de ski vert

Un jour de septembre 1976, ma mère m'a emmenée au magasin pour m'acheter mon habit de ski car il y avait des spéciaux. Pour je ne sais quelle raison, maman ne m'achetait jamais d'habits de cette couleur mais là, il y avait un joli ensemble vert.

- Que penses-tu de celui-là ? me demanda ma mère. Tu me portes jamais de vert. Ça ferait différent ?

- Oui pourquoi pas. Il est joli !

Nous sommes rentrées à la maison. Maman a rangé l'ensemble dans mon garde-robe en me disant que je ne pouvais pas l'utiliser pour le moment, que j'avais une veste d'automne que je pouvais mettre.

J'avais 14 ans et je venais de recevoir mon vélomoteur à mon anniversaire, le 4 août.

La Fête des Vendanges

Le samedi 2 octobre 1976 était un jour spécial. C'était la veille du grand défilé de la Fête des Vendanges de Neuchâtel, la ville où je grandissais. J'avais eu une dérogation très spéciale de mes parents pour sortir ce soir-là car j'avais été embauchée pour aller piquer (clouer) des fleurs (fraîches) sur les chars allégoriques. C'était alors une activité que les jeunes aimaient faire pour se retrouver, passer la nuit à travailler et faire quelques sous. Je devais rentrer à 22h, cependant.

Au souper, ce soir-là, mon beau-père a encore fait de la bisebille, cherchant la " petite bête ", traitant ma mère de tous les noms pour une chose anodine, cherchant le trouble.

Je n'en pouvais plus de cette ambiance familiale tellement toxique et violente psychologiquement et parfois physiquement. Je sentais que j'étais en train de me noyer dans cette famille. Je commençais à manquer d'oxygène et je n'entrevoyais plus de solutions pour survivre. Il me semblait avoir tout essayé, sans succès. J'étais à bout de vivre avec cet homme qui ne faisait que du mal alors que maman faisait tout pour qu'on ait quand même une enfance agréable.

La veste verte

Pour cette soirée spéciale, vu qu'il faisait frais et que j'étais en vélomoteur, j'ai demandé à maman si je pouvais exceptionnellement mettre la veste de mon ensemble de ski vert pour ne pas avoir froid. Elle a accepté. C'était vraiment une soirée spéciale !

A 19h, j'étais en route pour aller piquer des fleurs sur les chars. J'avais à la fois le trac de me retrouver avec les amis en cette soirée spéciale (j'étais très réservée et timide), et le plaisir de sortir de la maison et vivre de nouvelles aventures. Je sautais dans la cour des " grands ", dans l'inconnu. A 14 ans, nous étions les plus jeunes piqueurs de fleurs.

La demande

Sur la route, sur mon vélomoteur, mes pensées divaguaient, se demandant comment je pourrais sortir de cet enfer familial (et en faire sortir ma mère, aussi). Je ne me sentais plus de forces ni de ressources pour continuer à tenter de survivre. Je vivais depuis des années totalement coupée de mes émotions pour éviter de souffrir et là, le bol était plein. Il allait déborder. Je voulais aller là où je n'allais plus souffrir. La folie ? La mort ? Je ne savais pas mais je sentais que je n'arrivais plus à me retenir de ne pas y aller. Je voulais déconnecter et être en paix.

Dans un geste intérieur de désespoir, j'ai alors senti mon coeur subitement s'ouvrir et mon âme s'adresser à Dieu spontanément dans une profonde prière. Je l'ai alors supplié, les larmes aux yeux, de me montrer qu'il y avait autre chose dans la Vie, que ça ne se pouvait pas qu'on vive toute une vie dans une telle ambiance destructrice.

Au fond de moi, je savais que l'Amour existait et je ne comprenais pas pourquoi on ne le vivait pas chez nous.

J'ai totalement lâché prise et ai continué mon chemin. Je sentais que je n'avais plus de ressources et j'étais prête à tout pour ne plus vivre cet enfer.

La réponse à la demande

A 19h30, j'étais à l'urgence de l'hôpital. Je venais d'avoir un très grave accident. Une voiture m'avait frappée de plein fouet. Rien vu, rien senti, rien entendu.

Je me suis réveillée 24h plus tard à l'hôpital de Berne où on m'avait transférée car l'hôpital de Neuchâtel n'avait pas de médecins assez compétents pour prendre soin de moi.

A mon réveil, je ne savais pas ce que je faisais là. Je venais de subir une opération de huit heures au visage car ma mâchoire inférieure avait volé en mille morceaux. Côtes cassées, tibia cassé. Une dizaine de dents restées sur la route. C'est ma mère, présente à mon chevet à mon réveil, qui me l'a expliqué.

Je me souvenais seulement d'un extraordinaire voyage dans un tunnel puis dans une lumière d'Amour pur indescriptible. La mort. Puis la vie. J'avais décidé de revenir pour maman qui m'avait alors appelée, d'âme à âme. Je ne pouvais pas la laisser. Elle ne s'en serait pas remise.

Ce voyage dans la lumière a été la réponse à ma demande à Dieu. Il venait de me montrer que l'Amour existait. J'ai dès lors vécu dans un état de béatitude complète - un état d'Éveil - jusqu'à mon retour à l'école, trois mois plus tard.

Le reste de ma vie a été consacré à trouver cet Amour sur terre, à le vivre et à le transmettre. Il m'a fallu encore beaucoup d'années de souffrances pour guérir le passé mais je peux dire qu'aujourd'hui, la vie m'est douce et je remercie Dieu (ou l'Univers, on l'appelle comme on veut) chaque jour de me permettre d'être en santé, entourée de bons amis et de vivre de belles choses qui me rendent heureuse. Le moment présent...

Le vert

Je n'avais, depuis le 2 octobre 1976, plus jamais porté de vert, la couleur de ma veste de ski que je n'aurai mise qu'une fois. Pourtant, avec mes cheveux châtains-roux et mes yeux pers, le vert m'allait bien.

Je ne me suis, en fait, jamais vraiment occupée d'avoir du vert ou pas dans ma vie à part les plantes dans la maison et la nature dehors que j'aime beaucoup. Ça ne me dérangeait pas. C'était comme symbolique, aussi. Le vert était relié à cet accident. Je l'y laissais là tout en observant mes goûts car j'aime quand même certains verts mais de loin.

Je me suis acheté un beau pull vert il y a quelques années. Je ne le mets pas souvent, simplement parce que je ne suis pas habituée à porter cette couleur.

Alors, quand le crayon vert a voulu venir avec moi hier au magasin, je lui ai souri et l'ai accueilli avec tendresse. Pas pour le crayon, pour moi. Même si j'ai l'impression que je n'ai plus rien à guérir à propos de mon accident, j'ai peut-être encore quelques pas à faire vers le vert ;-).

Petits signes de grandes guérisons

Pas à pas, les guérisons se font dans notre coeur et notre âme. On ne sait souvent pas vraiment ce qu'on a à guérir, au départ, ni même comment on va faire en sorte de le guérir. La vie nous montre les signes sur le chemin, parfois subtilement, parfois violemment, suivant notre ouverture à vouloir avancer.

Quand mon coeur était blindé pour éviter de souffrir, il fallait casser le blindage pour lui permettre d'expérimenter autre chose de plus beau. Les expériences de vie pour avancer pouvaient alors être très souffrantes. Aujourd'hui, mon coeur est beaucoup plus ouvert, les souffrances beaucoup plus légères et les signes plus subtils.

Dire qu'un petit crayon m'a fait vous raconter toute cette histoire !

De petits souvenirs peuvent nous permettre de guérir de grandes souffrances. Il n'est pas de petits signes qui ne soient significatifs sur notre chemin d'épanouissement vers le bonheur. Il suffit de les reconnaître et de les accueillir avec bienveillance.

De tout coeur

©Dominique Jeanneret
Thérapeute