C'était il y a quelques mois dans Topchef, la dégustation de Chef Robuchon !
Le vrai tombeau des morts c’est le cœur des vivants. Cette phrase tellement citée qu’elle en a perdu de sa force est souvent attribuée à Cocteau. Elle est en fait de Tacite, 2000 ans plus tôt. Et elle reste très juste pour un Pape de la cuisine comme Joël Robuchon, mais pour lequel on pourrait ajouter : Le vrai tombeau des morts c’est le palais des vivants. Bien sûr il est difficile de s’y retrouver parmi tous les hommages qui se bousculent lorsqu’une telle personnalité disparaît. A l’heure des tweets et des chaînes toutinfo, comment faire la part des choses ? Il y a les réactions officielles où tous les éléments de langage ont tellement été soupesés que l’on ne sait même pas si l’Elysée a vraiment du palais. Twitter, c’est difficile: Comment arriver en quelques mots à faire passer une émotion, du sentiment, le plaisir que procure un plat exceptionnel ?Il y aussi le rappel du nombre d’étoiles obtenues par Joël Robuchon, ces étoiles Michelin qui sont à la cuisine ce que les Prix Nobel sont à la science, ou les Emmy Awards à la musique. Il en avait 24, 32 au sommet de son art, C’est impressionnant, mais cela reste abstrait pour la plupart d’entre nous.Sur son empire, le soleil ne se couchait pas, avec des restaurants de Monaco à Tokyo en passant par Las Vegas et Paris. Là aussi cela reste abstrait, même si l’on a conscience que des chefs comme lui, comme, Bocuse disparu en janvier, comme Ducasse aussi, font partie de ce luxe que le monde entier nous envie, et pour lequel il est prêt à payer, et cher. Cette marque France qui a à voir avec notre culture, notre histoire, nos terroirs, notre savoir-faire: Hermès, Vuitton, Saint-Laurent, Mouton-Rothschild, Clos-Vougeot, Versailles et la Tour-Eiffel, et donc aussi Bocuse ou Robuchon. Si on y ajoute ... Kylian Mbappé (!), le Mozart de la planète foot, on a fait là le tour de l’excellence française, une des seules choses qui semblent encore nous rester dans un monde dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’Asie. Notre quotidien est très éloigné de ces marques qui font notre image, et les éloges de la part de journalistes qui répètent en boucle des hommages désincarnés, nous passent un peu au-dessus de la tête. Aussi quand on tombe par hasard, sur une émission télé où l’on revoit Joël Robuchon goûter un plat, on comprend ce qui faisait son art et son génie. C’était sur M6 qui a eu la bonne idée de rediffuser une épreuve du dernier Top Chef. Les candidats présentent une recette de pomme de terre. Il y en a 4, toutes plus sublimes les unes que les autres et le chef doit les départager. Et là, même sans l’odeur et le goût, il nous fait partager sa dégustation. On est dans son palais, et l’on découvre avec lui l’importance de la cuisson juste, le sens du moelleux, le contraste des textures, l’équilibre des saveurs, la gourmandise d’un plat, la touche de folie qui fait toute la différence, et l’on devient d’un coup génialement gastronome. Et infiniment reconnaissant d’être ressorti moins bête, plus riche de cette transmission d’expérience. Joël Robuchon n’est pas mort, puisqu’il vit pour toujours dans notre mémoire gustative.