Le festival Off d'Avignon est bien entendu essentiellement théâtral mais il permet aussi de découvrir des artistes musiciens et d'avoir de jolis coups de coeur.
J'étais un peu dubitative d'aller à un récital de Brassens, l'après-midi, dans un lieu un peu excentré ... mais l'idée que ce serait une femme qui en était l'interprète en étant accompagnée au piano et non pas à la sempiternelle guitare, laissait augurer une redécouverte du répertoire du chanteur sétois.
Je peux vous dire que la réponse est oui à la question Vous reprendrez bien un peu de Brassens ?
Ce ne sont pas moins d'une vingtaine de chansons, certaines très connues, d'autres moins, dont Mardjane Cheminari nous a régalés. A peine dix pour cent de l'immensité du répertoire mais quel régal !
Elle commença avec un classique, Brave Margot (1953), suivi de Jeanne (1962), qui nous rappellent combien Georges Brassens a aimé les femmes.
Il était sans doute impossible d'occulter Jeanne (pour qui il composa aussi une chanson à la gloire de sa cane, devenue animal de compagnie), la femme de l'Auvergnat (que l'on chantera en murmurant avec Mardjane tout à l'heure). Brassens habita chez elle (et son mari) pendant vingt-deux ans, au 9, impasse Florimont, dans le 14ème arrondissement de Paris. Un logement sans gaz ni électricité ni tout-à-l’égout, mais plein d'amour. Ce n'était pas les trente ans qui les séparaient qui dérangeaient.
La chanteuse est simplement assise sur un tabouret de bar et nous enveloppe de sa voix profonde, sans la gouaille qu'on aurait pu craindre. Elle donne au contraire aux paroles une forme de légèreté qui nous permet d'en entendre de nouveau le romantisme et le potentiel poétique. Etre aussi comédienne est un atout indéniable.
C'est René Brion, son partenaire, qui poursuit avec L'amandier (1957) qui a été écrite pour le film Porte des Lilas. Elle danse et donne la réplique en bruitant de manière charmante. Pas de doute qu'elle est la digne fille de son papa, percussionniste renommé.
Son timbre évoque Anne Sylvestre. Elle enchaine avec L'orage (1960) auquel elle donne vie avant de changer de cap avec Quatre-vingt-pour-cent (1972) où le chanteur se livre à une critique du mâle en reconnaissant que la femme s'emmerde en baisant. Les paroles sont, encore aujourd'hui, révolutionnaires. Mais Brassens était adepte du franc-parler depuis longtemps. Il avait écrit Le gorille en 1952 dans un esprit comparable et il a dû sourire en apprenant l'abolition de la peine de mort.
Il disait vivre dans la lune ... Putain de toi (1954), dans un des premiers albums (Les sabots d'Hélène, que Mardjane ne voulait pas chanter mais qu'elle nous fera redécouvrir sur un arrangement différent et très réussi de René, démontrant encore une fois combien elle est une formidable interprète).
S'amuser des codes de la séduction était en quelque sorte un de ses fonds de commerce. On s'y replonge aussi avec Don Juan (1976) que les compères chantent en duo, et non sans humour, en en scandant les paroles : cette fille est trop vilaine, il me la faut. Le duo enchaine sur un titre peu banal, La fessée (1966), et moins connu.
Brassens s'attaque aux idées reçues, à presque toutes, et surtout à l'institution du mariage (La marche nuptiale-1957). On regrettera juste (mais il est impossible de tout interpréter ...) de ne pas entendre La non demande en mariage qui s'adressait à Joha Heiman, celle qu'il surnomma Püppchen, avec qui il ne vécut jamais mais qui fut le grand amour de sa vie et qui le rejoindra pour l'éternité dix-huit ans après sa mort, puisqu'ils sont enterrés côte à côte, à Sète, comme de bien entendu.
C'était elle qu'il interpelait dans Saturne (1964).
Il dénonce l'hypocrisie, dans Les Philistins (1957) mais c'est avec tendresse pour leurs enfants non voulus qui deviennent chevelus, poètes ou notaires ... car notre homme a les idées larges.
Derrière l'ironie mordante d'un Oncle Archibald, ou d'une Hécatombe (1952) se moquant des échauffourées du marché de Brive (que la chanteuse nous mimera avec fantaisie) se cache quelqu'un qui n'aura cessé d'inciter son public à aimer son prochain, d'abord avec Chanson pour l'Auvergnat (1954), à en célébrer le courage comme avec Pauvre Martin (1953) ... et toutes les femmes comme avec les très belles paroles d'Antoine Pol sur lesquelles il écrivit la musique des Passantes (1972). Il faut remercier René Brion de nous en faire saisir toute la richesse musicale.
Il est rare qu'on se souvienne des épisodes du chemin ... mais on se rappellera néanmoins longtemps de la délicatesse de cette après-midi. Comme les fantômes du souvenir était jolis ! Et ils ne nous ont pas empêché de sourire. On sort léger et heureux de ce récital qui est un magnifique hommage au chanteur moustachu qui disait qu'on ne rentre pas dans une chanson comme dans un moulin ... pour signifier que chacune mérite qu'on s'attarde aux paroles.
Mardjane et René ont grandement eu raison de fouiller le répertoire de Brassens et de continuer à le faire exister avec autant de vivacité sans pour autant chercher le moins du monde à l'imiter. Les arrangements sont réussis et ne trahissent pas l'esprit. Nul doute qu'il y a beaucoup de travail et de respect en amont.
On peut retrouver une douzaine de ces chansons sur l'album éponyme du spectacle. Et sachant que les deux artistes sont avignonnais on peut espérer reprendre encore un peu de leurs chansons l'année prochaine ici au festival ...Vous reprendrez bien un peu de Brassens?
Avec Mardjane Cheminari et René Brion
A l’Entrepôt, 1 ter Boulevard Champfleury - 84000 – Avignon
Du 7 au 27 juillet 2018 à 15h30 (Relâches : 11, 18, 25 juillet)