Il faut dire que le "Service national universel" qui se dessine selon le vœu du Président Macron ressemble bien peu à un tel programme. Court internat encadré par des militaires, il s'apparente à une expérience psychosociale qui consiste à contraindre des collectifs d'adolescents très divers à se rencontrer et à s'aimer, au nom de l'intérêt national.
Outre les intérêts des uns et des autres, les stratégies d'évitement, les possibles questions économiques ou logistiques, je vois encore au moins 3 questions majeures à propos desquelles je n'ai rien lu encore.
1/ Confier "l'éducation à l'engagement" aux armées françaises me paraît faire entrer la jeunesse dans "une logique de défense" qui renforce le sentiment de rapports sociaux fondés non pas sur la coopération mais sur l'opposition agresseur / agressé. Si le sage antique nous invitait "si vis pacem, para bellum", il me paraît (naïvement) impossible de construire une véritable culture de paix en actant la violence comme principe de vie sociale.
2/ Sans doute par égard envers les enseignants, le projet n'assume pas l'échec de l'école à "fabriquer des citoyens" et à rendre évidente la fraternité comme principe de vie sociale. Il faut dire qu'éduquer à la citoyenneté dans le système scolaire est une gageure : rien n'est moins démocratique que l'école, et que dire de la cour de récréation, creuset des violences sociales du monde adulte malgré tous les ABC ou autres programmes.
3/ Devenir citoyen c'est grandir, grandir c'est devenir adulte, au sens social, attiré par l'exemple de prédécesseurs qui agissent en personnes responsables. Le triste spectacle de notre société individualiste qui se choisit comme héros les menteurs et les tricheurs plutôt que les honnêtes citoyens permet-il de donner un tel horizon ? Tant que la fraude fiscale fera plus envie que la contribution aux financements des services publics, pourra-t-on convaincre de l'intérêt de vivre ensemble ?
Attention tout de même. Malgré ce dernier point, des jeunes s'engagent tous les jours, gratuitement, dans le monde associatif, syndical ou politique (bénévolat, service civique...). Pour ceux-là, l'association (sportive, culturelle, éducative...) offre un cadre pour une action qui permet l'épanouissement personnel, la construction de compétences mais aussi l’ouverture sur le monde. Toujours plus nombreux (aujourd'hui 21 % des 18-28 ans), ils expriment l'idéal de beaucoup d'entre eux : contribuer à transformer le monde pour le rendre un peu meilleur.
Le service national universel donnera-t-il à ceux qui n'osent pas s'engager le goût de l'intérêt général ? Dans la formule dessinée dans les médias par les échos de différents rapports j'en doute. Tout juste risque-t-elle de déclencher un mouvement d'opposition générale, qui donnera crédit à ceux qui n'ont pas confiance en la jeunesse de notre pays et la livrera en pâture à des groupuscules qui n'ont pour la République qu'une amitié procédurale et auront tôt fait d'en fouler aux pieds les valeurs que l'on aura prétendu restaurer.
Avant d'ouvrir une usine à gaz pour les autres, prenons nous-mêmes l'engagement solennel de devenir de meilleurs adultes, pour la justice sociale et la dignité humaine.
Illustration : Deligne - La Croix janvier 2015