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La vengeance du pied fourchu : 5

Publié le 08 juillet 2008 par Porky

« Qu’est-ce que c’est que ce délire ? gronda soudain une voix de basse profonde, puissante et particulièrement courroucée. Qui ose venir interrompre mon sommeil éternel ? Qui a eu l’outrecuidance de troubler les songes du Rêveur de l’Enfer ? » Et l’homme en noir jeta un regard terrible sur Missia et Martin, lesquels faillirent en trépasser d’épouvante.

« C’est moi, dit Asphodèle, toujours invisible. Arrête ton cirque, s’il te plait, tu ne fais peur à personne. » « Apparemment si, la vieille, répondit le visiteur infernal. Chausse tes loupes et regarde ces deux-là : ils vont mourir de terreur. » « Ne prends pas tes désirs pour des réalités, rétorqua à son tour Asphodèle. Et ne te crois pas plus puissant que tu n’es. » « Celui qui trouble mon sommeil éternel subira le châtiment, reprit l’homme, majestueux. Je suis le gardien des rêves du Mal et du Bien. Tout ce que désirent, imaginent et rêvent le Ciel et l’Enfer est contenu en moi. Je suis à moi seul la Création.  » « Tu es surtout une outre gonflée de vent, dit Asphodèle de sa voix la plus sèche. Et pour une fois, tu vas servir à quelque chose. Que trame ton maître contre cette enfant ? » « Sois précise dans tes demandes, dit l’homme en noir. Quel maître ? » « Comme si tu en avais plusieurs ! Tu me prends pour une imbécile ou quoi ? Je t’ai déjà interrogé une centaine de fois et tu continues à me faire ton numéro ! »

L’homme en noir parut tout à coup perdre une grande partie de sa dignité et poussa un soupir. « Soit, murmura-t-il. Pour le moment, tu es la plus forte, je suis à ta merci. » « Enfin une parole de bon sens. Alors ? Réponds à ma question. » « Je ne sais rien, rétorqua le visiteur. Je ne rêve que les actes déjà accomplis. Je les garde en moi éternellement, je suis la mémoire de l’enfer… » « Ne recommence pas à pontifier, s’il te plait ! Je connais tes fonctions, et je ne t’ai pas appelé pour que tu radotes ta chanson. Mémoire de l’enfer, je veux bien, mais en attendant, tu es parfaitement capable de t’introduire dans les songes de Satan. Alors, je le répète : que complote-t-il contre Missia et sa famille ? » « Et moi je te répète que je n’en sais rien. Tu peux insister pendant mille ans, tu n’apprendras rien de plus parce que ses désirs sont si bien dissimulés que je ne peux y avoir accès. Tout ce que je peux dire, c’est que ta protégée doit se méfier d’un collier d’émeraudes. » « Un collier d’émeraudes ? répéta Missia, stupéfaite au point d’en oublier sa frayeur. Où veut-il que je trouve ça, cet ahuri ? Même ma sœur n’a pas les moyens de s’en payer un et pourtant, Dieu sait… » « Je dis ce que j’ai vu, répliqua l’homme en noir d’un ton aigre. Si ça ne te plait pas, tu n’es pas obligée d’écouter et encore moins de me croire. » « Mais enfin, personne au village n’est assez riche pour s’offrir une telle parure ! » insista Missia. « Dans ton bled, oui, dit l’homme, méprisant. Mais le monde ne s’arrête pas à ses portes. Il ne t’est pas venu à l’esprit, ô demeurée, que le danger pouvait venir de l’extérieur ? » « Je ne comprends rien, intervint Martin. Et puis soyez poli avec ma fiancée. » « Et tu m’as invoqué pour ça ! grogna l’homme en tendant le bras vers le jeune couple. Pour entendre les insanités d’un débile et d’une idiote ! C’est mauvais signe. Tu vieillis, Asphodèle. »

« Ton insolence m’amuse, répondit Asphodèle. Mais ton histoire d’émeraudes me déplait souverainement. Tâche d’être plus précis. » « Impossible. La seule chose que je vois dans l’esprit de mon maître, c’est ce fichu collier. » « Qui le porte ? » interrogea Missia. « Aucune idée. Peut-être un succube. Peut-être une mortelle. Va savoir ! » Le geste qui accompagna ces paroles était très désinvolte mais la voix semblait sincère. Missia se tourna vers Martin. « Peut-être cela veut-il dire qu’il faudra faire attention à tous les étrangers arrivant au village… Ca va être gai ! Avec la foire qui commence la semaine prochaine !... » « Je n’ai rien à dire de plus, dit l’homme en noir. Renvoie-moi à mon sommeil éternel et ne viens plus me déranger pour des bagatelles. » « Un complot contre moi, monté par Satan, vous appelez ça une bagatelle, vous ? » s’écria Missia, outrée. L’homme haussa pompeusement les épaules. « Que oui ! Comme si tu étais la seule à subir ses assauts ! Mais entre nous, c’est bien la première fois que je lui vois prendre autant de précautions pour me cacher ses desseins. Que lui as-tu fait ? » « Ce ne sont pas tes oignons, dit Asphodèle. Retourne d’où tu viens, je t’ai assez vu et tu ne m’es plus d’aucune utilité. »

A peine Asphodèle avait-elle prononcé ces mots que la silhouette de l’homme sembla peu à peu se dissoudre dans les airs. Les flammes eurent un sursaut de violence, puis le tas de pierres incandescentes s’écroula, étouffant le feu qui s’éteignit presque aussitôt. Une fumée noire enveloppa le seuil de la cabane, provoquant chez Missia et Martin une effroyable quinte de toux. Lorsqu’ils parvinrent à se calmer, ils virent qu’Asphodèle avait repris sa place habituelle et que tout était redevenu normal.

« C’est un vieux dur à cuire, commenta la sorcière en secouant ses couettes. Il a l’art de noyer le poisson mais je crois qu’il disait la vérité. Ce qui signifie, ma belle enfant, que Satan a sorti le grand jeu et qu’il te réserve un joli tour de sa façon. » « Son histoire de collier d’émeraudes ne tient pas debout ! » protesta Missia. « En apparence seulement, dit Asphodèle. Tu l’as dit toi-même : la semaine prochaine, la foire annuelle commence. Les étrangers vont affluer au village. Prends garde au danger. Regarde bien autour de toi. Si jamais tu vois quelqu’un porter cette parure… » « Quelqu’une, rectifia Martin. Après tout, je vois mal un homme, marchand de surcroît, se balader avec un collier autour du cou, qu’il soit d’émeraudes ou de rubis. » Asphodèle hocha la tête. « Peut-être. Ne te sépare jamais de ton flacon d’eau bénite, Missia. Cela ne fera pas disparaître ton ennemi mais cela le mettra hors jeu pour un petit moment, le temps de t’enfuir, par exemple. » « Et bien, ça promet ! » murmura Missia, lugubre. Vous n’auriez pas pu le vaincre définitivement, ce crétin ! pensa-t-elle en s’adressant à son aïeule.

« La nuit est profonde à présent, murmura Asphodèle. Rentrez chez vous, vous ne risquez rien. Mais prenez garde aux émeraudes… »

Elle s’était levée ; Missia et Martin l’imitèrent. En un instant, presque comme par magie, elle disparut de leur vue et ils restèrent seuls en haut de la montagne où le vent, qui venait de se lever, commençait à hurler.

(A suivre)


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