La nuit règne encore, hommes et femmes sortent de chez eux, le dos courbé sous le poids des objets. Ils parcourent parfois des dizaines de kilomètres avant d'arriver dans le centre des villes. Sur la place principale ou près des halles, ces vendeurs se battent discrètement pour avoir la meilleure place. Tout en finesse, ils rusent pour se positionner devant la boulangerie ou le boucher. Premier arrivé, premier placé. Les regards noirs fusent vers ceux qui ont eu le courage de se lever plus tôt. Les autres doivent se tenir un peu à l'écart, ou errer, leur bardas sur les épaules. Chaque jour, ils doivent trouver le centre de gravité, en fonction de la quantité qu'ils ont eu l'ambition d'emporter sur leur dos pour la journée. Le bazar règne parfois dans leur panier, mais, la plupart du temps, rien n'est laissé au hasard. Tout est calculé, de manière à ce que rien ne puisse se retrouver à terre. Tout l'art du métier se trouve dans la justesse de la marche. Malgré le poids, ces hommes et femmes restent droits. Le corps ne flanche pas. Si le panier tombe, c'est l'humiliation.
Alors que le jour se lève à peine, tous ont trouvé une place. La fleuriste et la marchande de mouron ont leurs fleurs dans un panier, le marchand d'abat jour les tient autour de ses bras, le marchand de mèches pour fouet les positionne autour de son coup, le chiffonnier tire une charrette à bout de bras, le marchand de paniers utilise ses coudes, le rémouleur circule avec une petite brouette, le cardreur de matelas monte une table sur laquelle il travaille, le tailleur de pierres nettoie ses outils, tout comme le paveur, le jardinier et le raccommodeur de faïence, le pâtissier marche avec son panier sur la tête, le marchand de marrons et le marchand de glace tirent une petite charrette, le marchand de papier à lettres, le plus méticuleux, ne cesse de ranger toutes ses fournitures dans un panier rectangulaire qu'il attache autour de son cou. Mais il existe un métier que tous envient. Le marchand de journaux. Le seul vendeur de rue qui possède une place attitrée, une sorte de petit abri ressemblant à une colonne Morris. Le seul qui est sûr de vider son stock tous les jours, c'est lui. Le luxe de l'information demande de débourser quelques sous chaque matin pour connaître les potins du monde, et la petite bourgeoisie ne peut s'en passer. C'est à cela qu'on la reconnaît.
Pendant ce temps, le laveur de chien prend place près du fleuve. Et dans les cuisines des maisons, les petits déjeuners se terminent. La journée commence lorsque le joueur d'orgue enclenche la première manivelle de la journée. Alors, la petite bourgeoisie peut commencer à se presser pour dépenser ses quelques sous amassés le mois passé.
Inspiré de la série des Petits métiers de Paris d'Eugène Atget.