Ah, le cinéma de science-fiction indépendant…
Bonjour Billy et bienvenue au 7ème Café ! Comme j’ai déjà pu l’évoquer brièvement avec Christine la semaine passée, les films indépendants vont souvent être porteurs de projets originaux ou atypiques, et financés avec un petit budget qui implique de nombreuses astuces et détours pour limiter les dépenses. Et il n’y a pas d’exemples plus représentatifs de ce cinéma indépendant que le film de science-fiction The Endless.
Le film est aussi intéressant et mystérieux que son affiche.THE ENDLESS
Réalisateurs : Justin Benson et Aaron Moorhead
Acteurs principaux : Justin Benson, Aaron Moorhead
Date de sortie : 6 avril 2018
Pays : États-Unis
Budget : Moins de 20 000 $
Box-office : 313 264 $ (En cours)
Durée : 1h51
Bienvenue dans le monde de l’étrange !PROMENONS NOUS DANS LES BOIS
The Endless est un film réalisé, écrit, monté, produit et joué par Aaron Moorhead et Justin Benson, un duo de meilleurs amis à qui l’on doit d’autres petits films indépendants tels que Resolution (2012) ou Spring (2014). Le film a été tourné en 2016, présenté dans les festivals, notamment Tribeca, en 2017 et sorti au cinéma en 2018 – aux US, et toujours pas en France ; je pense qu’il faudra attendre un peu car Christine, qui est sorti en 2016 aux US, n’est arrivé que cette année en France. Le drame des films à petit budget…
Bref. L’histoire suit deux frères, Aaron (Aaron Moorhead) et Justin (Justin Benson), qui vivent une vie un peu misérable dans une banlieue des États-Unis. Un jour, ils reçoivent une étrange cassette vidéo (oui oui, une cassette) de la part d’une secte vénérant les extraterrestres et la mort ; secte dont les deux frères faisaient partie dans leur jeunesse. Sur l’impulsion de Justin, et malgré les réticences d’Aaron, ils vont donc repartir tous deux sur les lieux de leur enfance pour dire au revoir une dernière fois à la secte. Mais une fois sur place, ils vont être confrontés à des évènements de plus en plus étranges…
À première vue, le synopsis ne paye pas de mine, et pourtant ! 97% sur Rotten Tomatoes, ce n’est pas rien, et je pense avoir déjà parlé de nombreux films ayant des scores moins élevés sur ce blog. The Endless a avant tout un style très marqué et totalement unique, avec un ton un peu délavé jaunâtre, et une espèce d’intemporalité latente avec ces cassettes et ces polaroids qui jouent un rôle prépondérant dans l’histoire. Et l’histoire, parlons-en ! Le scénario n’a de cesse de prendre des tours et des détours, de modifier nos perceptions et nos perspectives, de tromper nos attentes, et tout ceci en devenant de plus en plus bizarre au fur et à mesure que les 111 minutes du film défilent. The Endless est à la fois extrêmement ancré dans la réalité et complétement ésotérique, en jouant sur un mélange subtil des genres entre science-fiction, thriller psychologique, horreur, épouvante et – presque – documentaire. C’est bien simple, pour se faire une idée du film, il suffit de regarder son affiche !
Le script a aussi la chance de s’appuyer sur une pléthore de personnages tous plus intrigants et intéressants les uns que les autres. Il y a évidemment les deux frères au centre de l’histoire, mais aussi tous les membres de la secte, et tous les personnages que l’on rencontre autour comme Michael (Peter Cilella) et Chris (Vinny Curran) qui vivent dans une maison abandonnée dans les bois, ou Carl (James Jordan) qui est à moitié le plus lucide des personnages, à moitié complètement cinglé. La galerie est tellement éclectique et unique que toute l’atmosphère du film en est impactée. Beaucoup de personnages n’ont que 4 ou 5 minutes d’apparition à l’écran, parfois moins (comme l’homme de la tente) mais ils sont tous marquants. Tous.
Oui oui, même toi !POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS
Mais là où The Endless est un véritable tour de force, c’est bien sûr au niveau technique. 20000$ de budget, en cinéma, c’est que dalle. Littéralement. Et d’autant plus en science-fiction. Quand on pense science-fiction, on pense effets spéciaux, explosions, aliens, etc… Et tout ça, ça coûte très cher. Mais on n’est pas dans le cas d’un blockbuster comme Infinity War où la production peut jongler avec les millions comme si de rien n’était. C’est pour ça que les films de science-fiction indépendants sont souvent les plus durs à produire – mais aussi mes préférés, car pour réussir à les faire, il faut vraiment des gens passionnés. C’est ainsi que des pépites comme Moon, Midnight Special ou Europa Report peuvent naître, et pourtant je suis prêt à parier que tu n’as jamais entendu parler de ces films avant Billy, à moins que tu me connaisses personnellement. Mais là encore, les budgets de ces films se chiffraient tout de même en millions, certes pas beaucoup pour de la SF, mais en millions quand même. Alors comment faire un film pour moins de 20000$ sans que tout paraisse cheap ?
La première idée pour réduire les dépenses, c’est bien évidemment réduire le personnel. C’est pour ça que Benson et Moorhead sont à la fois réalisateurs, partiellement producteurs, scénaristes, monteurs et acteurs dans leur film. Mais il ne faut surtout pas prendre leur omniprésence comme du narcissisme de leur part (comme Tom Cruise avec la saga Mission Impossible dont le prochain volet sort mercredi) mais au contraire comme une volonté de faire au mieux et de mettre tout leur talent au service du film. S’ils avaient à embaucher à chaque fois des personnes différentes pour chacune de ses tâches, les coûts grimperaient en flèche, au risque de ne pas pouvoir produire The Endless. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser également, leur polyvalence n’implique absolument pas un égarement cinématographique ni un total amateurisme. The Endless est un vrai film comme on en voit tous les jours ; le duo maîtrise parfaitement sa caméra, son script, son jeu d’acteur, son montage…
L’idée générale finalement est de faire ce que l’on peut avec ce que l’on a, et pas dans le sens péjoratif de l’expression. Les effets spéciaux numériques, ça coûte extrêmement cher, alors on utilise des effets réels, fondés sur le hors-champ et sur le montage du film. Pour utiliser des musiques, il faut payer des droits d’auteur, alors on réenregistre simplement une chanson du domaine public – ce qui ne coûte rien – pour tout autant de qualité (la célèbre « House of the Rising Sun », chantée par les Animals notamment en anglais ou par notre Johnny national sous le titre « Les portes du pénitencier »). Toute la production du film ne se résume qu’à des combines, des trucs, des astuces pour économiser au maximum sans que le film en pâtisse. Et ça marche !
Même les effets spéciaux (car oui, il y en a, faits par Benson et Moorhead eux-mêmes) sont de bonne facture, notamment à la toute fin du film. Et petit budget ne veut pas forcément dire acteurs inconnus ! On retrouve par exemple Tate Ellington (The Good Wife, The Walking Dead, The Big Bang Theory…) ou l’excellent Lew Temple (Alex dans The Walking Dead). Comme quoi quand on a de la passion, du courage, et des bonnes idées, on peut aller loin.
Pourquoi vous me regardez comme ça ? J’ai dit quelque chose de mal ?LA COULEUR TOMBÉE DU CIEL
Mais la plus grosse influence de The Endless, c’est un homme du nom de Howard Phillips Lovecraft.
Si son nom t’est inconnu mon cher Billy, laisse moi te faire un petit résumé. Lovecraft est un écrivain né en 1890 et mort en 1937 aux États-Unis, spécialiste de l’épouvante, célèbre pour ses œuvres fantastiques, d’horreur et de science-fiction. On lui doit notamment l’inénarrable mythe de Cthulhu, cette divinité antédiluvienne d’outre-espace géante à tête de céphalopode et ailes de dragon.
Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn !Mais bref, je ne vais pas faire un exposé sur Lovecraft, tu n’as qu’à faire un tour sur Google ; tout ça pour dire qu’il est impossible de ne pas penser à l’œuvre de l’écrivain – et notamment la nouvelle La Couleur Tombée du Ciel – en regardant The Endless tellement elle transparaît à travers de nombreux éléments.
Il y a d’abord la façon dont l’histoire est construite. Au départ, tout va bien, puis les personnages principaux vont vers un lieu surnaturel ou anormal (ici le village du culte, dans les livres de Lovecraft ça peut être un temple maudit, une expédition polaire, une maison au passé douteux…) et au fur et à mesure que l’histoire avance tout devient de plus en plus étrange. Il y a la présence d’une forte constante ésotérique, mystique, qui est très caractéristique de l’écrivain. Il y a aussi la façon dont sont traités les personnages, avec cette constante incertitude de l’origine de l’étrangeté : est-ce que ce sont les deux frères qui deviennent fous ? Est-ce que le culte est vraiment dangereux ? Est-ce autre chose ? Ce flou est quelque chose qu’on retrouve énormément chez Lovecraft et c’est sublimé par le travail cinématographique de Benson et Moorhead. Et, sans rien dévoiler, le dénouement de tout le mystère est purement lovecraftien. Sans parler des références véritables à Lovecraft au détour d’une conversation, ou même ce morceau de rocher biscornu (voir ci-dessous) qui ressemble clairement à Cthulhu.
Le seul défaut, pour moi, de The Endless, c’est qu’il a une fin. Une vraie fin. Je pense que s’il s’était terminé deux minutes plus tôt, en restant sur un énorme cliffhanger ouvert comme son prédécesseur Resolution, la fin aurait eu plus d’impact. Tu verras de quel moment je parle en voyant le film ! Mais mis à part ça, Billy, The Endless, c’est bon, manges-en.
Cette cinématographie. J’applaudis.LE MOT DE LA FIN
The Endless offre, sous la caméra talentueuse et passionnée de Justin Benson et Aaron Moorhead, une plongée progressive et intrigante dans l’étrange, l’effroi et le mystère. On s’attendrait presque à voir surgir Cthulhu – et ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre sur une citation de Lovecraft…
Pour explorer un peu plus l’univers de The Endless, il y a aussi le film Resolution, que j’ai déjà mentionné, qui est un spin-off sur les personnages de Mike et Chris, et une interview très intéressante des deux réalisateurs. Allez, bisous !
Note : 7 / 10
Tu reprendras bien un verre, Billy ?« H. P. LOVECRAFT – La plus ancienne et la plus forte des émotions humaines est la peur, et la plus ancienne et la plus forte des peurs est celle de l’Inconnu. »
— Arthur