La femme a hérité de la maison mais aussi de "l'espace autour". Qui compte autant que les murs de pierre, les dalles du sol - l'espace qui lui aussi fait maison. On pourrait dire que La neige à l'envers explore ce qui fait maison pour la femme qui y parle, et y écrit. Car la maison qu'elle aime dès qu'elle la découvre n'est pas le lieu d'un espace refermé, d'un bien qui la ferait propriétaire insérée dans l'espace social autant que géographique. Le jardin, la prairie, le sous-bois, la forêt, les plantes qui grimpent, les lumières des jours et des nuits, tout ce qui est extérieur à la maison en est le prolongement; la maison ne fait pas frontière avec la nature, celle-ci est aussi maison pour la femme. "Les chants d'oiseaux [la] recouvrent comme une haie sonore, une toile". Plus on avance dans le livre plus on voit la femme habiter cette autre maison, s'endormir un jour, seule, dans la forêt. Seule : la solitude est aussi maison, une solitude aimée, qui délivre des terribles contraintes de la socialisation. Il ne s'agit cependant pas d'un "retour à la nature" stéréotypé : font maison, aussi nécessairement, les livres.
Ceux qu'elle lit (et c'est le seul "meuble" qu'on lui voit installer: ses livres qu'elle dépose et range sur des étagères), ceux qu'elle écrit, ceux qu'écrit un homme auquel l'a liée un amour inidentifiable, un amour d'écriture dont le souvenir lui fait lui aussi maison à jamais.
Car le livre de Sabine Bourgois est un libre espace, une maison que des vents divers traversent, une maison sans murs clos comme celles que permet, ouvre, écrire jusqu'à l'inattendu. Qui surgit, dans la dernière partie, comme un loup féérique - dont on ne peut rien dire ici (au lecteur d'aller à sa rencontre) sinon qu'il tient sur son échine et dans ses yeux jaunes les contraires rassemblés.
Christiane Veschambre
Sabine Bourgois, La neige à l'envers, Un comptoir d'édition, 2018, 12€.