Impulsions

Publié le 26 juillet 2018 par Hunterjones
J'ai pas réalisé tout de suite ce qui se passait à l'entrepôt.
On part tôt le matin, on revient souvent tard le soir (15 heures de job lundi le 16) on ne voit pas toujours quelqu'un au boulot. On part très tôt le matin, seul, on conduit, seul et on ferme le soir, parfois, seul. On ne voit pas tant que ça les gars de l'entrepôt. Ceux qui remplissent nos camions ou préparent le stock afin qu'on puisse quitter tôt le lendemain.
Le gars qui avait été engagé pour s'occuper de l'entrepôt n'a pas duré. Il s'est trouvé un nouveau travail. C'est la deuxième fois que le gars avec lequel j'avais le plus d'atomes crochus quitte. Je le savais qu'il ne durerait pas dès la première semaine. Il venait travailler avec sa copie de La Peste de Camus sous le bras. Je l'avais fait rire en confondant Morel (chez Romain Gary) et Rieux (Chez Camus). On avait largement discuté de la théorie de la montée du fascisme comme métaphore de la peste d'Albert. Un type de conversation que je ne pourrais pas avoir avec les autres, aussi sympathiques braves et honnêtes sont ils.

Ce gars d'entrepôt à quitté. Annoncé un mercredi, parti le mercredi suivant. Ça a fait chier la direction. Dont le patron quittait pour ses vacances deux jours après l'annonce du départ. Ça a eu l'effet d'un camouflet sur le boss. Alors qu'on commence tous nos cycles de vacances, on fait plus avec moins. On travaille très (trop) fort.
Il fallait donc remplacer notre ancien gars d'entrepôt.
Les frères Lemieux sont dans le décor depuis toujours. Deux jeunes hommes sans grande éducation. Deux gars que d'un coup d'oeil tu peux dire "gars de garage". Des gars nécessaires qui n'ont jamais peur de se salir. Ils étaient appelés ici et là pour faire des jobs de bras. Le plus vieux, Mario, est excessivement tranquille. Je crois ne l'avoir jamais entendu parler. Sinon pour dire le strict minimum. Il ne regarde jamais personne dans les yeux, comme si il avait un lourd passé à assumer. Et à oublier. Il y a comme une tension perpétuelle dans ce regard qu'il pointe vers le sol, presqu'en permanence. Il n'est pas aussi docile qu'il le laisse montrer. On sent qu'il pourrait, en deux secondes, dégainer un coup de poing en plein visage de quiconque lui tombe sur les nerfs.

Le plus jeune, Matt, est plus énervé. Il plante non seulement son regard dans celui des autres mais pointe souvent les jointures du poing, en guise de poignée de main, pour qu'on fasse de même. Il nous accueille par un gentil "salut comment ça va?" chaque matin. Les deux gars font la job que personne ne veut faire. Les jobs sales. Dures. Les deux frères Lemieux sont des durs.
Peu après le temps des fêtes, la compagnie a fait affaire avec une entreprise qui engageait des temporaires pour , justement, le temps des fêtes. Automne/hiver, ils travaillent pour Noël, pour différentes compagnies. Printemps/été, ils travaillent pour nous.

Ils étaient engagés pour implanter du matériel en région. La compagnie se développe beaucoup. On parle même de l'Ontario et des États-Unis maintenant. Peu, à peu, les 8-9 employés engagés ont fini par quitter. Soit par choix, soit parce qu'ils étaient mauvais, soit par qu'ils étaient si jeunes qu'ils retournaient à l'école, soit parce que le travail ne demandait plus de leurs efforts. Trois sont restés. Puis deux, depuis vendredi dernier. Un chauffeur, investi de Dieu, a choisi de nous quitter aussi. Il n'a jamais eu le sentiment d'urgence nécessaire au travail de toute manière. Et ne parlait que de Dieu en tout temps.
N'en reste plus que deux. Dont un agité irlandais. Patrick Quinn. Il est impossible pour celui-ci de ne cesser de parler. Il raconte toujours des anecdotes beaucoup trop animé, des anecdotes assez anodines, de manière très (trop) expressives. Il est souvent dans l'attitude outrée. Il est plutôt étouffant. Et excessivement vif. Il est tout en impulsions.
Quand le gars d'entrepôt à quitté, il a tout de suite senti le besoin de présenter son grand frère à lui, Billy, pour le poste. La dynamique des deux frères Quinn est inverse de celle des frères Lemieux. Le plus vieux Quinn est si discret qu'il faille souvent lui tirer les vers du nez. Il a la tête d'un boxeur. Le plus jeune est une vraie girouette. Il transpire l'excès.
Le plus vieux des frères Lemieux était présenti pour le poste d'entrepôt. Il l'a occupé pendant la dernière semaine où l'autre a travaillé. Et il l'a pseudo-formé pour le poste.
La semaine dernière, Billy Quinn a traîné, lui aussi, dans l'entrepôt toute la semaine. Avec les frères Lemieux. Le petit frère Quinn, Pat, était si fier de pouvoir montrer ce qu'il pensait connaître de l'entrepôt qu'il a fait conduire à son grand frère tous les lifts (illégal) dans le premier 10 minutes. J'ai dû agir comme ritalin du moment.
Les deux tandems de frères sont composés d'une bombe et d'une tempête qui sommeille avant de sévir.
Deux, des 4, ont des noms de gens connus de l'univers du hockey (Pat Quinn & Mario Lemieux) je m'attendais étrangement à voir des gens lâcher les gants et se battre pendant la semaine.

La semaine dernière était une absurde double audition dans l'entrepôt.
Pour un boss...en vacances...
Mais il revenait cette semaine. Et j'avais oublié son propre sens de l'impulsion.
Il a limogé les 4. Et nous as amené un nouveau barbu.
Salsa Salazar.
Un hispano.
Fun.
Notre entrepôt devient un cirque.