Critique de L’effort d’être spectateur, de Pierre Notte, vu le 20 juillet 2018 au Théâtre des Halles
De et mis en scène par Pierre Notte
Je n’avais pas du tout pris l’effort d’être spectateur dans le même sens que Pierre Notte. Le titre parlait plutôt à mon côté misanthrope qui doit supporter, au théâtre, les spectateurs qui bougent, ceux qui toussent, ceux qui enlèvent et remettent leur manteaux, ceux qui cherchent un bonbon dans leur sac, ceux qui respirent fort, etc. Mais j’étais bien loin de ce que l’auteur allait aborder !
En réalité, c’est bien de l’effort demandé au spectateur par l’artiste dont il est question dans ce spectacle. Le fait que le public doivent s’inventer l’espace pensé par un scénographe, ou plus généralement la marge d’interprétation qu’on lui laisse sur le sens d’un spectacle : le travail d’imagination est en effet intrinsèque au théâtre, alors même que le cinéma demande un effort moindre. Au théâtre, le spectateur ne peut se contenter d’être passif, et c’est là-dessus que revient Pierre Notte dans ce spectacle.
Je ne m’attendais pas à pareil engouement de ma part. Pierre Notte entre dans la salle avant même le début du spectacle. Détendu, il propose des places pour le IN la semaine suivante ; il ne pourra pas y assister. Il discute avec les spectateurs, échange de manière naturelle et sympathique. C’est un moment très agréable où une complicité se crée, nécessaire à mon avis pour profiter au mieux du moment qui va suivre, car le spectacle de Pierre Notte s’adresse à des adeptes et se veut aussi moment de partage.
Ce sera peut-être mon seul reproche : cet entre-soi créé par les anecdotes, presque les private joke qui ponctuent la démonstration de Pierre Notte. Si l’on ne connaît pas les noms dont il parle, on apprécie moins le contenu incroyablement riche qui nous est proposé. Mais pour qui connaît un peu le milieu, c’est une abondance d’histoires passionnantes et de point de vue mordant sur le milieu du théâtre. De quoi convaincre tout mordu !
A travers, ce spectacle, Pierre Notte se livre aussi un peu. On comprend certaines de ses affinités – Michel Bouquet serait un peu surcoté, quand Jean-Luc Godard ou Gilles Deleuze recueillent toute son admiration – et on découvre le monde du théâtre à travers sa double casquette d’artiste et de spectateur. Lorsqu’il se cite lui-même en se cachant derrière des « je suis présomptueux », on aimerait lui crier que non, qu’il doit continuer, que son avis est aussi intéressant que les citations de tous les artistes qu’il présente depuis le début du spectacle.
De manière générale, c’est un spectacle qui appelle presque à la réaction, un spectacle qui donne envie de participer, de contredire parfois, ou d’ajouter notre pierre à l’édifice des anecdotes et autres citations qu’il bâtit tout du long. Je partage beaucoup de ce qu’il aime au théâtre, comme l’apparition soudaine du vrai sur scène, avec les fous rires ou la sueur des comédiens, ou, pour prendre un exemple plus concret, l’histoire du homard de Rodrigo Garcia. Mais ce que je partage aveuglément, c’est sans doute son explication d’un échec théâtral, que je vous laisse découvrir.
Ce genre d’échec, il en est loin. Tout simplement à l’opposé. Bravo.