Jérôme Bertin a eu les faveurs du feuilleton d’Éric Chevillard, il y a un peu plus d’un an. On peut le dire autrement : Chevillard m’a encore vendu un livre ce jour-là : Retour de bâtard. Ce n’est pas tous les vendredis qu’un auteur des éditions Al Dante est le héros du jour dans Le Monde des Livres, d’autant plus quand c’est un post-punk qui écrit après Bukowski et Artaud. En ces temps où les tables des librairies font bonne place aux auteurs hygiénistes et polis (& gendres idéals), oui, il est bon de lire Bertin. Qui a défaut d’être la voix des prolos, ce qui ne veux pas dire grand’ chose, a sa propre voix. Je tricote volontairement tel un romancier pour ne pas vraiment aborder cette Lettre à Nina, dont le risque serait de trop en dire. Livre objet superbe ! Un dessin de Fernand Fernandez pour la couv’. Une série de cahiers de pages joliment ficelés mains par Françoise Favretto (l’éditrice), logés entre deux pages roses qui m’évoquent un rideau de théâtre intime. Dessous : des feuilles à carreaux et un poème, fragmenté de très très petits poèmes :
touche
avec ta langue ma langue
c’est une caresse.
Moi, moineau devant toi
ta force tes ailes puis-
santes
j’ai regardé le magnolia
à travers tes lèvres
entrouvertes
comme s’il sortait de
ta bouche
ce soleil d’arbre
Est-ce utile d’écrire que ce bel objet livre s’offre ou se lit à hauteur d’oreilles amoureuses ? Dans les toutes dernières pages du journal de William Burroughs, qui pour ceux qui l’ignorent s’est drogué toute sa vie, et que je cite de mémoire : L’amour, qu’est-ce que c’est ? L’antidouleur le plus naturel, voilà ce que c’est que l’amour. Je ne sais pas si le dealer de Bertin lui a fait une ristourne (ou s’il a doublé ses tarifs) le vendredi où l’écrivain était « superstar » et on s’en fout. Beaucoup plus euphorisante drogue : Nina. Droguez-vous de vos bouches, dit le baiser long, aux amants-amoureux.
Christophe Esnault
Jérôme Bertin, Lettre à Nina, Atelier de l’agneau (coll. poème du jour), 2017, 20 p., 9€.