Alors qu'en France l'hystérie de la victoire des Bleus a très vite cédé la place à l'affaire Benalla, véritable scandale d'état n'en déplaise à certains, de l'autre côté de l’Atlantique on se prépare à la guerre commerciale. La politique économique menée par l'administration Trump aux États-Unis est en effet résolument protectionniste, ce qu'elle a au fond toujours été lors des précédents mandats mais jamais de façon aussi revendiquée. Mais elle est par ailleurs mâtinée d'une politique budgétaire expansionniste et d'une réforme fiscale très favorable aux entreprises. Toute la question est alors de savoir ce que Donald Trump compte en retirer globalement comme bénéfice pour son pays, sachant qu'il a par ailleurs déclenché les hostilités commerciales avec l'UE et la Chine notamment.
Une politique budgétaire expansionniste
Dès son élection, Trump décida de relancer l'économie américaine par une baisse massive d'impôts (graphiques 1 et 2) d'une ampleur inégalée depuis 30 ans :
Graphique 1 : réforme fiscale de Trump pour les ménages
[ Source : DW ]
Graphique 2 : réforme fiscale de Trump pour les entreprises
[ Source : The Economist ]
D'où une hausse impressionnante des profits nets des entreprises américaines :
[ Source : Natixis ]
À cela s'est conjuguée une hausse des dépenses publiques (d'infrastructures) :
[ Source : https://tradingeconomics.com ]
Notons au passage que les grandes entreprises du numérique, les célèbres GAFA, étaient déjà loin de toutes payer le taux officiel d'impôt sur les sociétés de 35 % aux États-Unis, ce qui leur a valu l'ire de Trump (et accessoirement de l'Union européenne qui projette de les taxer directement sur leur chiffre d'affaires) :
[ Source : Les Échos ]
Bien entendu, personne n'était dupe que le cash de ces multinationales - certains évoquent 2 500 milliards de dollars ! - dormait tranquillement à l'étranger le plus souvent dans des paradis fiscaux... C'est pourquoi, Trump a souhaité favoriser le rapatriement de ces fonds, au moins 600 milliards de dollars, qui se verraient taxer forfaitairement pour solde de tout compte à 15,5 % ; bref, une sorte d’amnistie fiscale partielle pour attirer le butin !
Apple en a ainsi profité pour annoncer, bon prince, qu'elle allait payer 38 milliards de dollars d’impôts aux États-Unis et investir 350 milliards de dollars sur cinq ans ; la réalité est juste plus terre à terre, puisqu'Apple va rapatrier aux États-Unis 250 milliards de dollars de cash et donc payer 15,5 % d'impôts sur ce montant soit 38 milliards de dollars... Pas de civisme donc, juste de l'optimisation fiscale qui après avoir été pratiquée dans l'UE est désormais poursuivie sous d'autres formes - légales - aux États-Unis ! D'ailleurs, l'argent rapatrié risque fort de ne pas servir à ce que l'on espère, ce qui n'est pas nouveau comme je l'expliquais dans un précédent billet :
[ Source : Statista ]
Le problème de cette relance est qu'elle a lieu au plus mauvais moment, puisque l'économie américaine est presque au plein-emploi :
Dès lors, eu égard à la faible substituabilité entre productions américaines et productions étrangères, cette relance va déboucher très certainement sur une hausse des importations et donc une dégradation de la balance commerciale ; d'où à terme un risque de dépréciation du dollar et une hausse des taux d'intérêt. Bref, tout le contraire de ce que Trump désirait obtenir avec ses mesures protectionnistes...
Le protectionnisme selon Trump
Après avoir lancé la bataille de la sidérurgie en annonçant la taxation des importations d'acier et d'aluminium respectivement de 25 % et 10 %, Trump a déclenché les hostilités commerciales avec la Chine au nom de la sécurité nationale (sic !) en ajoutant des droits de douane sur l’équivalent de 50 milliards de dollars d’importations de l’Empire du milieu. Certes, Européens comme Américains en conviennent, les autorités chinoises se jouent des règles de l'OMC pour pratiquer une concurrence déloyale, n'hésitant pas au passage à manipuler la monnaie et à pratiquer espionnage industriel et cyberattaques.
Mais déclarer ouvertement la guerre commerciale à la Chine n'était certainement pas une bonne idée lorsque la production locale américaine n’est plus en mesure de se substituer aux importations comme nous l'avons déjà vu plus haut. Dès lors, une telle surtaxation des importations débouchera seulement sur une hausse du prix des importations et le volume des importations ne variera guère... Pire, le déficit commercial risque même de s'aggraver en valeur ! Au bout du compte, les prix augmenteront aux États-Unis, ce qui sera défavorable aux consommateurs et à la croissance.
Et désormais, les partenaires commerciaux des États-Unis touchés par ces mesures (UE, Canada, Mexique et bien sûr Chine) ont décidé de prendre des mesures de rétorsion. L’UE a ainsi décidé d’appliquer depuis peu une surtaxe sur certains produits américains (produits sidérurgiques, industriels et agricoles), le Canada a fait de même sur 16,6 milliards de dollars canadiens de produits en provenance des États-Unis et la Chine a répliqué par 50 milliards de dollars sur les produits américains. En un mot, c'est la guerre... commerciale pour l'instant !
Au total, l'incertitude augmente et le climat des affaires se dégrade. Au surplus, l’instabilité des règles commerciales mondiales conduit à une forte hausse de l’aversion au risque, qui se traduit entre autres par une nervosité palpable sur les marchés financiers, qui ne savent plus à quel saint financier se vouer, même si les rachats d'actions empêchent une chute brutale (pour combien de temps voir mon billet ?). Enfin, Trump semble soutenir très fortement les énergies fossiles et n'hésite pas à prendre langue avec la Russie ou la Corée du Nord, pourtant honnies par son propre parti, quitte à prendre ensuite des sanctions contre ces puissances...
La plupart des dirigeants politiques, trop habitués à mettre en œuvre les mêmes politiques économiques néolibérales apprises dans les mêmes institutions (universitaires parfois, mais surtout bancaires comme Goldman Sachs), ont désormais du mauvais sang à se faire avec l'approche à contre-courant de Donald Trump !
P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de Courrier International.