(Brèves de lecture) Alexis Pelletier, Lambert Schlechter, Marie-Hélène Archambeaud et Michel Dugué, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

Quatre notes « Brèves de lecture » signée Jean-Pascal Dubost.
Alexis Pelletier, Les Moires/Slamlash
Lambert Schlechter, Agonie Patagonie
Marie-Hélène Archambeaud, Comme après
Michel Dugué, Mais il y a la mer
Alexis Pelletier
Les Moires/Slamlash
Rougier V. éd, 2018
22 p., 20 p.
13€
Un livret aux deux titres tête-bêche ; d’un côté, le versant populaire d’Alexis Pelletier, proposant un slam-rap, et de l’autre, son versant savant, un chant monodramatique. Les Moires chantent le comble du désespoir de n’avoir plus prise sur le destin des hommes, pleurent d’avoir été coupées du fil du futur. Les Moires, plus puissantes que les dieux généralement, sont impuissantes contre la marche du monde menée par l’homme, et leur chant est « Une force qui crie vers l’avenir/c’est-à-dire aussi vers ce qui/conduit plus ou moins vite/et dans le cri même/à la destruction du présent ». C’est un chant désespéré que celui que le poète transmet en interrogeant la mythologie grecque, en questionnant ces divinités qui lui répondent en son for intérieur par un chant sans mots sur lequel il pose mots. Et c’est bien le contraire, avec le double du poète, Mlash, qui slame-rape et lâche une colère en hexasyllabes et en syncopé, et sa révolte avec tous les poncifs et toutes les fadaises du rappeur rebelle (« Je crie contre le monde/Je crie contre un pouvoir »), sur un mode amusé (ironique), et livre une macronade à l’instar des anciennes mazarinades, qui provoque et tutoie le destinataire du message. Comme souvent chez Alexis Pelletier, c’est intelligemment pensé, et on se prend à s’imaginer, dans la foulée de ce livret, un recueil de « Macronades » ou un « Parnasse des poètes satyriques des temps d’huy ».
Lambert Schlechter
Agonie Patagonie
éditions Phi
112 p., 15€
« Quand tu aimes il faut partir » écrivait Blaise Cendrars ; et même s’il écrit « tu peux t’en aller t’as fait ton plein » (de vie assavoir), Lambert Schlechter, aimant la vie, refuse de partir, et apprend à mourir (« et m’exerce à n’être plus rien ») en repoussant l’idée de la mort dans les confins patagoniques de son esprit sans oublier pour autant d’y penser en égrenant des neuvains anti-mort de livres en livres. La vie est chez le poète, un aphrodisiaque puissant, c’est pourquoi en son vieil âge, le ton n’est nullement agonisant, mais agonisiaque. L’écriture lui est merveille, et c’est de cette façon qu’il peut trouver des milliards de façons de camarde enculer (1). On entend Rutebeuf complaignant et Saint-Amant ironisant sur son chien de grabat, on croise les ombres errantes d’une bibliothèque fabuleuse, de Pascal Quignard, de Tu Fu, de Fernando Pessoa ou de Jim Harrison et de bien d’autres qui ne brûleront jamais en enfer, car Lambert Schlechter est une bibliothèque immortelle qui embrasse le monde. Déchanté d’amour mais point désenchanté par la vie, Lambert Schlechter poursuit son étreinte folle de l’écriture, en prose et en vers, distribuant généreusement des leçons de vie, et de mort.
1. Du même auteur : Enculer la camarde (Phi, 2013), Milliards de manières de mourir (Phi, 2017)
Marie-Hélène Archambeaud
Comme après
éd. Tituli
60 p., 13€
Le livre se présente sous la forme d’un journal-poèmes, dont les titres sont des dates, auxquels manquent l’année ; c’est atemporel, mais pourtant s’inscrit dans le temps, avec quelques fois un repère géographique, la Suède beaucoup (la poète est de mère suédoise). Un journal au passé tantôt, tantôt au présent ; on pressent qu’il y a transmission de vie d’une femme à une autre (de tante à nièce) et qu’il y a marche, promenade, rêverie. Un étrange livre où les poèmes diaristes (le plus souvent en prose) s’ancrent dans une réalité abstraite, car coupée du temps, et pourtant bien quotidienne ; « Il faut m’extraire pour me trouver », écrit la poète. On se laisse vaguement porter dans une rêverie woolfienne, où les identités qui passent sont des voix surtout, se laisse porter par une rythmique proche du brütt de Frederike Mayröcker, avec une torsion de phrase moins prononcée, mais une vie dans les plis de la syntaxe pareillement ; « nous logerons dans les plis ». Qui parle, on ne le sait pas toujours, les voix fusionnent, ou s’enlacent, et on palperait presque le profond respect qui émane de qui écrit.
Michel Dugué
Mais il y a la mer
Le Réalgar
84 p., 12€
Ce livre collecte plusieurs proses courtes du poète Michel Dugué, éparpillées, telles en anthologies ou telles chez des micro-éditeurs n’éditant plus. C’est en styliste héritier du Baudelaire des Petits poëmes en prose, de Chateaubriand ou de Julien Gracq, s’attachant à épouser les mouvements de sa mélancolie, que Michel Dugué élabore des phrases qui construisent un lien entre sa rêverie et les lieux qu’il fréquente. Par le véhicule de ses proses en effet, il hante des lieux de mémoire et sa culture autant gallèse que bretonne (sans aucune revendication identitaire). Écrivain de la petite Mor (Michel Dugué est originaire du Morbihan), la mer est proche parente, et n’est jamais très loin même dans une déambulation rennaise ; le « mais » du titre indique bien le lien très fort qui l’unit à elle, comme si le fait même qu’elle existe apaisait l’homme. Sa phrase est sensation des lieux bretons, travail lent et patient sur la langue pour établir une connexion avec ceux-ci ; qui sont puissamment mémoriels. C’est un rêveur solitaire, un rêveur toponymique (Crec’h Melo, l’île Rouzic, Porz Scaff, Roc’Zemec… une des sections s’intitule « La ballade des noms »), peut-être parce qu’il perçoit dans ces noms « Ne serait-ce que l’écho furtif de la poésie ? » ; un rêveur avec une légère pointe de nostalgie.
Jean-Pascal Dubost