Je pense que tous les fils sont cassés qui retenaient la toile
Je pense que cela est amer et dur
Je pense qu’il reste dorénavant surtout à mourir.
Je pense que l’obscur est difficile à supporter après la lumière
Je pense que l’obscur n’a pas de fin
Je pense qu’il est long de vivre quand vivre n’est plus que mourir.
Je pense que le désespoir est une éponge amère
qui s’empare de tout le sang quand le cœur est détruit.
Je pense que vous allez me renvoyer à la vie qui est immense
et à ce reste des femmes qui ont des millions de visages.
Je pense qu’il n’y a qu’un visage pour mes yeux
Je pense qu’il n’y a pas de remède
Je pense qu’il n’y a qu’à poser la plume
et laisser les démons et les larmes continuer le récit
et maculer la page
Je pense que se tenir la tête longtemps sous l’eau finit par étourdir
et qu’il y a de la douceur à remplacer son cerveau par de la boue
Je pense que tout mon espoir que tout mon bonheur
est de devenir enfin aveugle sourd et insensible.
Je pense que tout est fini.
***
Alain Borne (1915-1962) – L’amour brûle le circuit (Club du Poème, 1962) – Œuvres poétiques complètes (Curandera, 1980-1981) – Poème dédié à Paul Vincensini.