Critique de Sur la route, d’Anne Voutey, vu le 17 juillet 2018 au Théâtre du Petit Chien
Avec Mata Gabin, Aya Cissoko, Nadège Beausson-Diagne, Manda Touré, Rachel Khan, dans une mise en scène de Anne Voutey et Karima Gherdaoui
C’est d’abord le nom d’Aïssa Maiga qui a attiré mon regard sur le spectacle. Son actualité littéraire avec Noire n’est pas mon métier m’a beaucoup intéressée ces derniers temps et j’étais curieuse de la découvrir sur scène. Quelle ne fut pas ma surprise, au moment où je préparais cet article, de découvrir que le programme du OFF n’annonçait pas la même distribution que le site internet. Quelle histoire est à l’origine de ce changement de distribution, je n’en sais rien, et si je suis déçue, je n’annule pas la réservation pour autant : le sujet m’intéresse, et je reste heureuse de retrouver Mata Gabin, découverte dans la mise en scène de Dans la solitude des champs de coton de Berling cette année…
Tout part d’un fait divers : en 2015, aux États-Unis, une jeune femme noire est tuée par un policier alors qu’elle se rendait à son travail. C’est parce qu’elle a repéré sa voiture derrière elle qu’elle a changé de file, oubliant d’utiliser son clignotant récemment réparé. Cette erreur lui coûtera la vie : d’abord interrogée par le policier, elle ne baissera ni la tête ni la voix et excitera ainsi les réflexes racistes de cet homme qui ne demandait qu’une incartade supplémentaire pour se déchaîner.
Mais cet événement n’est qu’un prétexte, et ne constitue en réalité que les dernières minutes du spectacle. La pièce a préféré montrer la vie de cette femme, mettre en exergue sa féminité, ses projets, ses désirs. C’est un beau pari, mais le texte n’aurait pas souffert à mon avis d’un peu plus de matière pour le nourrir : c’est encore un peu cliché de ne montrer que la femme amoureuse et la femme travailleuse.
Sur les cinq comédiennes présentes dans la distribution, seules trois sont sur scène. Ce soir-là, Mata Gabin, Manda Touré et Rachel Khan incarnaient les différentes facettes de ce personnage. Et elles étaient superbes. C’est grâce à elles que, malgré un texte parfois un peu faible, on prend plaisir à suivre la journée de cette femme. Chaque détail, aussi infime soit-il, est magnifié par leur présence. Ainsi le choix de la robe pour la première journée de travail fait l’objet d’une réflexion intense et, une fois déterminée, on prend autant de plaisir qu’elles à les admirer, un véritable sourire de bonheur étalé sur leur visage.
On sent qu’elles partagent jusqu’au bout des ongles l’intensité de la dernière journée de ce personnage. J’ai eu du mal à détacher mon regard de Mata Gabin, qui occupe toute la scène de sa présence irradiante, et dont la diction me fascine : elle a une manière de slamer son texte très agréable à l’oreille. S’ajoute à cela sa grande beauté – mais les trois comédiennes possédaient cet atout – qui permet d’élever le personnage du commun des mortels vers personnage de théâtre, ici, maintenant.
Le commun du quotidien est comme transcendé par des comédiennes portées par la nécessité de dire.