Delgrès, où le blues des Antilles

Publié le 20 juillet 2018 par Africultures @africultures

Avec son nom porteur d’une mémoire caribéenne forte le trio Delgrès est sans conteste la révélation de cette année. Mo jodi leur premier album, sorti en mai, chez Pias est un petit bijou plein de promesses.

La guitare Dobro conçue aux États-Unis dans les années 20 par les frères Dopyera -d’où la contraction de Dopyera et brothers- a un son très particulier. Son système de résonance dit «en araignée » l’a fait adopter par des musiciens hawaïens – sous les doigts d’un J.J Cale elle sonne presque de façon indolente- avant que les bluesmen ne s’en emparent. Pascal Danaé, leader du trio Delgrès est de cette trempe là, tel un «Robert Johnson de la Guadeloupe».

Le guitariste a eu plusieurs vies, et un CV gros comme le poing dans lequel on trouve des collaborations avec Youssou Ndour, Gilberto Gil, Peter Gabriel ou encore Ayo. Globe-trotter, membre d’un autre trio célèbre Rivière noire, il a résidé entre Paris, Londres et Amsterdam. C’est précisément dans cette ville de canaux qu’il est tombé définitivement amoureux de la dobro. Le son rocailleux, minéral, de cette guitare nous ramène irrésistiblement dans les alluvions du delta du Mississippi. Il irrigue tout l’album de Delgrès Mo jodi.

Les démons du passé

En créole guadeloupéen mo jodi signifie « mort aujourd’hui ». Ce titre emblématique renvoie à ce qui a donné son nom au trio: le sacrifice de Louis Delgrès, figure de la lutte contre l’esclavage dans les Antilles françaises. Le 28 mai 1802, ce colonel d’infanterie de l’armée française de la Basse-Terre a repris à son compte la devise de la  Révolution française: «Vivre libre ou mourir». Delgrès et 300 de ses compagnons ont préféré se suicider à l’explosif à Matouba plutôt que de se rendre aux troupes napoléonniennes, venues rétablir l’esclavage. Auréolé d’un tel protecteur, l’univers de Pascal Danaé ne pouvait pas nous laisser insensible.

En 2014, il a formé Delgrès avec Baptiste Brondy à la batterie et Rafgee au sousaphone, un genre de tuba donnant une touche jazz Nouvelle-Orléans. Fondamentalement, le blues de Delgrès fait jaillir une blessure : celle des Antilles françaises qui entre le coût de la vie, le scandale du chlordécone et la mise sous le boisseau de France Ô restent en marge de la République.

Respecte nou chante Pascal Danaé dans le morceau d’ouverture éponyme. La musique agit comme une catharsis pour affronter les affres du passé esclavagiste de la Caraïbe. Sur l’album plane le fantôme de Louise Dané, la trisaieule du guitariste dont il a retrouvé, dans un rebondissement digne d’un roman de Maryse Condé, la lettre d’affranchissement datée de 1841. Comme un baume sur cette souffrance, la voix consolatrice de Skye Edwards, la chanteuse de Morcheeba, un groupe que Pascal Danaé a côtoyé auparavant, s’est posée sur le bien nommé Sere mwen pli fo. La chanson s’adresse à un proche disparu à qui il n’a pas pu dire au revoir.

Un autre titre Mr President est une charge contre les puissants. Est-ce une adresse à Emmanuel Macron? En tout cas on se plaît à l’imaginer! Voici la traduction du premier couplet en créole: «Mr President vous êtes si malin. S’il vous plait expliquez-nous que diable se passe-t-il? Mr President, vous êtes en fonction s’il vous plaît expliquez-nous pourquoi on est toujours en train de lutter. » Et si vous désirez entendre ce réquisitoire «anti-President» ou d’autres titres plus légers comme Ti manmzel (petite mademoiselle) le combo jouera en août à Pornichet, Sète, au Luxembourg et à Grenoble avant la Maroquinerie à Paris le 12 septembre. Don’t miss it!

Pour aller plus loin:

https://www.delgresmusic.co