Laurence Peyrin : LÂ'aile des vierges

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

L’aile des vierges de Laurence Peyrin  4,5/5 (04-07-2018)

L’aile des vierges (466 pages) est disponible depuis le 28 Mars 2018 chez Calmann-Lévy.


L’histoire (éditeur) :

Angleterre, avril 1946. La jeune femme qui remonte l’allée de Sheperd House, majestueux manoir du Kent, a le cœur lourd. Car aujourd’hui, Maggie O’Neill, un fort caractère, petite-fille d’une des premières suffragettes, fille d’une féministe active, va entrer comme bonne au service des très riches Lyon-Thorpe. Et la seule consolation de Maggie est que personne ne soit là pour assister à sa déchéance, elle qui rêvait de partir en Amérique et d’y devenir médecin. Qui en rêve toujours, d’ailleurs. L’intégration parmi la dizaine de domestiques vivant comme au siècle précédent est difficile pour Maggie. Elle trouve ridicules les préoccupations et exigences de Madame, surnommée par ses employés « Pippa-ma-chère », car c’est ainsi que ses amies l’appellent à grand renfort de voix haut perchées. Le maître de maison, lointain, l’indiffère. Seul trouve grâce à ses yeux le vieux lord, âgé de près de cent ans, qui perd la tête et la confond avec une mystérieuse Clemmie à qui il déclare son amour. 

Mon avis :

 « Trois mois suffisaient donc à bouleverser la vie de Maggie Fuller, alors que les six années précédentes l’avaient entraînée à combattre toute forme d’aliénation. Et par là même toute forme d’amour. Mais celui-ci était plus intransigeant que ses principes. » Page 236

Si le roman s’ouvre en 2010 à New York lors d’une inauguration d’une galerie, le roman s’envole très vite en 1946, dans le Kent pour une époustouflante histoire de femme, de liberté, de convictions, d’héritage et surtout d’amour.

« Mais elle avait la chance d’être la descendante d’un couple mythique. A y penser, elle était parfois saisie d’une fierté pétrifiante. Cet héritage, fallait-il en être digne… » Page 9

Direction donc l’Angleterre juste après la guerre. Maggie Fuller, 26 ans, vient d’enterrer son époux (grabataire à l’âge de 23 ans après une chute d’un toit) après 6 ans passés à s’occuper de lui avant et après son emploi à la conserverie de poisson.  Pour gagner sa vie, l’ami de famille le Dr Heady lui trouve un poste (nourrie et logée) de femme de chambre, en charge des appartements de Lady Philippa, à Sheperd House, somptueuse demeure des Lyon-Thorpe, l’une des plus riches dynasties du comté.

Femme robuste à l’esprit vif élevée par une mère sagefemme prônant l’égalité des sexes et une grand-mère infirmière membre de l‘Union sociale et politique, suffragette…elle a bien du mal à trouver sa place dans cette nouvelle demeure et surtout dans son rôle. Mais elle tente de trouver des bons côtés à tout ça et observe d’un œil moqueur la troupe de domestiques œuvrant au service de « Pippa-ma-chère ».

Sa rencontre avec Sir Albert (« Elle avait traversé la vie de l’être le plus pur qui lui serait donné de connaître – un vieil enfant que la maladie avait dépourvu de calculs et de malice. Il avait ouvert pour elle le plus beau des romans. Et elle lui avait fait du bien. C’était l’essence même de son passage ici. Le destin n’avait pas eu d’autre raison. » Page 225) et de son fils Sir John qu’elle va apprendre à connaitre, chacun à sa manière, et qui vont définitivement changer sa vie…Mais pas facile pour cette fille de féministes d’arriver à enfin trouver sa place dans le monde. Il lui faudra en effet faire des choix et surtout beaucoup de temps pour comprendre quelles sont véritablement ses priorités et ce qu’elle veut au fond d’elle-même…

« Rien, dans ce qu’elle avait fait de sa vie jusqu’ici, rien qui n’ait été influencé, ni décidé par a personne dont elle partageait alors la vie.

Et voilà qu’un homme, que par atavisme elle aurait dû ériger en symbole de la décadence phallocrate et bourgeoise, lui opposait pour la première fois la bonne question : « Que voulez-vous, Maggie ? ».

Et que, par éducation et par dépit, au nom de la femme sur le billet de banque et de toutes les cuvettes qu’elle avait nettoyées, elle l’avait envoyé balader. Avant de s’abandonner de nouveau à lui

Parce qu’elle ne savait pas quoi faire de toutes les réponses qu’elle avait le choix de lui donner.

Jamais le monde n’avait été aussi grand, jamais elle ne s’était senti l’âme aussi petit –à peine un souffle sur la Kent. » Pages 208-209

L’aile des vierges est un roman PASSIONNANT, SENSUEL et DROLE qui se lit avec fougue et intérêt. Laurence Peyrin  concocte là un roman qui vous transport dans une atmosphère et une époque, elle vous happe, vous prend par les sentiments et les émotions (impossible de ne pas être sous le charme de Maggie, de l’aimer et d’être touché par sa vie, et surtout impossible de ne pas succomber à ce qu’elle vie avec le délicieux Sir John….MamaMia !!!!!), elle vous fait sourire (les répliques de Maggie sont géniales ! piquante et juste, cette héroïne possède un bagou incroyable), et elle vous donne l’occasion de découvrir un univers et une foule d’anecdotes historiques qui mettent à l’honneur la femme.

L’aile des vierges est avant tout l’histoire d’une vie, l’histoire de Maggie Fuller, une femme bagarreuse et sensible qui a bien du mal à vivre avec l’image de sa mère et de sa grand-mère. Beaucoup de sentiments contradictoires, un poids des convictions familiales pesant, l’image de la mère étouffante, et une ambivalence (entre amour et raison, passion et conviction) constante rythment ses prises de décision et l’avancée de l’intrigue qui va alors prendre un important tournant et nous faire passer d’une Angleterre edwardienne à un New York des années 50 en pleine effervescence.

« Sa vie n’avait été qu’une logorrhée d’informations contradictoires. Sois indépendante, Maggie, tu feras de grandes choses, disait sa mère. Je dépends de toi, Maggie, disait Will, ne t’éloigne pas de moi.

A l’heure qu’il était, ils l’emmerdaient, tous les deux, avec leurs nomenclatures de la femme diamétralement opposées. » Page 208

« Ces images. Augusta en suffragette. Elisabeth en garçonne. Toutes deux si utiles, si solides. Combien de femmes leur devaient-elles une certaine forme de liberté ?

Mais elles-mêmes, avaient-elles été si libres ? Un combat à mener suffisait-il à être heureuse ? » Page 455

Mais L’aile des vierges est aussi l’occasion de parler de la femme, de son essor à la fin de la seconde guerre mondiale, de la quête de liberté (par le travail, par l’avortement, par la politique) et d’une foule de sujets d’actualité tels que l’immigration et l’homosexualité.

L’écriture de Laurence Peyrin m’a beaucoup plu. Elle mêle des descriptions évocatrices par le vocabulaire pointu et l’image (« Les journée étaient réglées comme du papier à musique, Maggie commençait à connaître la partition. Dès 7 heures, le ballet des domestiques s’élançait à corps languissants dans une chorégraphie que chacun aurait pu suivre les yeux fermés. » Page 55) à des réflexions sans filtres, modernes et drôles (« A l’avant-veille du grand dîner de printemps, Sir John hantait les couloirs. Il semblait surveiller les arrières de Pippa-ma-chère qui, même droguée au millepertuis, était aussi électrique que les ampoules du lustre monumental du grand salon. » Page 40) aux multiples références culturelles, littéraires, cinématographiques. Et pourtant, même si l’auteure à merveilleusement bien alimenté l’aspect historique de son roman, L’aile des vierges est avant tout une histoire romanesque qui trouve ses bases dans l’Histoire.

J’ai vraiment passé un excellent moment entre ses pages. Le côté sentimentale (qui est davantage sensuel que fleur bleue) m’a charmée.il y a là des moments précieux forts, des mots bouleversant et surtout l’ensemble est si loin des clichés des romans à l’eau de rose. C’est une passion amoureuse entrecoupée de roman d’apprentissage et d’aventure faite de choix, pimentée par de nombreuses personnalités fortes, attachantes (la petite Kitty par exemple), intrigantes et énigmatiques.

Bref, à glisser dans votre valise !