En 92, j'étais à l'Insead. On y enseignait que le marché était tout. De la concurrence totale et sans contrainte sortait l'optimum absolu. Cela me paraissait idiot et anti scientifique. D'ailleurs, il était facile de trouver des contre exemples qui niaient les théories qu'on nous présentait. (Sans, pour autant, parvenir à ébranler les professeurs.) Et les faits m'ont donné raison. Mais, pourtant, cette théorie stupide a dominé le monde pendant 25 ans. Et elle a été absorbée par notre élite, pourtant supposée sélectionnée pour son intellect exceptionnel. A croire qu'elle n'avait pas compris ce qu'on lui avait enseigné.
Il en est de même de l'énergie nucléaire, disait un précédent billet. On a longtemps pensé que c'était bien. Puis on s'est mis à penser que c'était mal. Curieusement, ceux qui auraient dû avoir peur, nos parents, n'ont pas eu peur, et nous, qui aurions dû penser que nos prédécesseurs avaient essuyé les plâtres, nous-nous sommes effrayés.
Le troisième âge de l'homo sapiens
Cela pose la question des mécanismes qui font le changement, et semble valider une théorie de Norbert Elias. Le changement n'est pas une question de raison, mais de mode. Et la raison est totalement incapable d'endiguer les modes, parce qu'infiniment peu de personnes se soucient d'exercer la leur.
Mais peut-être que la mode a ses raisons, que la raison ignore ? Certes, mais le phénomène est connu et il est utilisé pour servir des intérêts qui ne sont probablement pas dans notre intérêt à long terme. Au fond, le premier usage de la raison a été de "mettre en mouvement les forces" de la déraison, pour paraphraser Saint Exupéry. Peut-être l'homo sapiens est-il devant un nouveau changement ? Acquérir une raison qui perçoive et évite les manipulations de la raison ? Nom de code de l'opération : développement durable ?