Critique de Suite Française, d’après le roman d’Irène Nemirovsky, vu le 15 juillet 2018 au Théâtre du Balcon
Avec Florence Pernel, Béatrice Agenin, Christiane Millet, Samuel Glaumé, Emmanuelle Bougerol, Cédric Revollon, dans une mise en scène de Virginie Lemoine
Je n’ai pas lu le roman. Je n’ai pas vu le film. Mais cette affiche et cette distribution ont fait que dès que j’ai pris connaissance du spectacle, sa place a été automatiquement réservée dans mon planning. Autour de moi, les avis allaient bon train : entre ceux qui ont adoré le livre et les inconditionnels de Béatrice Agenin, l’impatience et la curiosité montaient avec les conversations pré-Festival. Sans nul doute, voilà l’un des spectacles dont on parlera dans le OFF 2018, ou je ne suis plus Mordue de Théâtre.
Vous connaissez peut-être l’histoire mais laissez-moi la résumer telle qu’elle a été adaptée au théâtre – car je suppose, peut-être à tort, que des coupes ont été faites. Pendant la 2e Guerre Mondiale, on demande à des français de la zone occupée d’accueillir des soldats allemands chez eux, ce que fait la famille de l’histoire. On se retrouve donc dans la belle-famille de Lucille Angellier, plus exactement chez la mère de son fiancé Gaston, prisonnier de guerre. Elles accueillent Bruno von Falk : si Madame Angellier refuse de lui adresser la parole en souvenir de son fils, Lucille ose lui répondre, et ira même jusqu’à l’écouter jouer au piano. Puis la guerre et ses problème reprennent le dessus sur cette idylle naissante et Lucille devra choisir entre son amitié et sa patrie…
L’histoire m’a beaucoup plu, et je pense lire le roman dès que j’en trouverai le temps, d’autant que j’espère y trouver davantage de détails, de rebondissements, de suspens et d’émotion. Difficile en effet d’instaurer une émotion tangible en 1h15 d’un spectacle où il s’agit finalement de sympathiser avec l’ennemi puis de le tromper. Je mettrais donc d’abord en cause l’adaptation – sans connaître l’oeuvre originale, mais en me fiant aux critiques dithyrambiques que j’ai recueillies. Je mettrais aussi en cause le fou rire mal dissimulé de deux comédiens ce soir-là, qui forcément fait tâche lorsqu’on se retrouve dans une maison française sous l’occupation.
Mais je me vois aussi obligée de mettre en cause la comédienne incarnant Lucille, soit le personnage principal. Florence Pernel manque de profondeur, d’expressivité, d’authenticité : il y a quelque chose d’artificiel dans sa manière de jouer alors même que le rôle demanderait une réelle incarnation, une transformation totale sur scène. D’autant que le personnage n’est pas lisse et l’histoire d’amour que l’on sent arriver n’est finalement pas si évidente, les sentiments de Lucille était plus complexes que ce qu’on peut d’abord supposer. Mais face à la proposition de Florence Pernel, on est finalement rapidement perdu sur les véritables dispositions du personnage. Je reste donc sur ma faim pour ce qui est du duo Lucille/Bruno, intrigue principale de la pièce.
Heureusement, à côté, d’autres actions ont lieu qui nous permettent de quand même apprécier le spectacle. Quel plaisir de retrouver l’excellente Emmanuelle Bougerol, dont chaque réplique est ponctuée de rires dans la salle ! J’ai beaucoup apprécié la dignité de Béatrice Agenin et sa lente évolution vers une certaine forme d’humanité, contrastant avec l’apparente sociabilité de Christiane Millet, incarnant la femme du maire, dont chaque mot soulève un rire jaune. Chez les hommes, on saluera la belle métamorphose de Cédric Revollon, découvert le matin-même dans Arletty et que je n’ai pas reconnu dans son nouveau personnage, et Samuel Glaumé, peut-être un poil sympathique pour un nazi, mais après tout peut-être le personnage est-il écrit ainsi ?
Un spectacle que j’aurais aimé plus poignant.