Souvenir en noir et blanc, ou plutôt, en pierre et tuile. Gris et orangé sous un soleil accablant. Ciel bleu foncé, sourcils froncés. Éblouissement sur les remparts. Yeux plissés assaillis par la lumière blanche et forcés de rétrécir le champ. Réduction de la scène aux toits sous les pieds. Pente. Vertige. Bracelet en cuir autour du poignet.
Trente ans plus tard, le spectre est plus élargi, le regard peut englober la cité toute entière. Taille adulte. Même le château des Templiers est moins impressionnant. Les remparts miniatures enserrent le cœur du village. On n'a plus peur de faire du toboggan sur les toits. C'est mignon, pas grandiose. Beau, pourtant. Toutes ces pierres multi centenaires polies par l'Histoire. Les artisans sont toujours là, vendeurs de souvenirs qui n'ont pas tellement cédé aux Tours Eiffels et aux torchons brodés. Les touristes, dès le matin, arpentent les ruelles, audio guide vissé sur les oreilles, appareils photos en guise de colliers. Mais les habitants, où sont-ils ? Parfois, dans certains villages, on les aperçoit arrosant leurs géraniums, ouvrant leur courrier dans la discrétion de la cour intérieure. Ici, pas de traces, pas de bruits, pas de fleurs et pas de lettres. Les habitants du village musée sont cachés. Telle une faune imperceptible à l'œil nu, ils ne doivent sortir que la nuit. Impression de se promener dans une reconstitution. Inquiétude de déranger. Effrayé par le flot de visiteurs - on le serait à moins - l'autochtone se retire habilement du théâtre des hostilités. Mais généreusement, par amour de son village, pour entretenir et faire valoir sa cité, il en permet l'accès, ouvre les portes des murailles aux curiosités.
Finalement, en s'éloignant un peu de La Couvertoirade, on se dit que ce sont bien les descendants des Hospitaliers qui vivent ici, les héritiers des Templiers. Des défenseurs, des guerriers, des intrépides qui continuent de vivre ici, dans cet écrin de pierre, au-milieu de ce paysage solitaire, de ce plateau des Causses grandiose et unique.