Dernière journée : les soupçons se confirment. Cette saison les flamands roses, les coraux, les plumes et les ordinateurs hantent les designers. L'élégance classique devient leur obsession. Un remède qui se compose de taffetas, drapés de satin, manteaux de soie. Aux premiers rangs de ce spectacle, assis dans des fauteuils Louis XVI , un mélange d'aristocrates et de stars assistent à l'avénement d'un nouvel ordre. Plus rien n'est prévisible ou contrôlable: que ce soit le numérique, les investisseurs, les acheteurs, ou les bénéfices incertains engrangés par des influenceurs dont on ne sait plus que faire. Pour se démarquer de la masse, la haute-couture réitère ses heures de gloire, ses Callas, ses Audrey Hepburn et ses Grace Kelly. La nouvelle société se fonde sur les mythes de l'ancienne ? Pas si simple: les maisons historiques ( Dior, Chanel, Armani Privé...) sont les conservatrices de l'élégance institutionnelle. Sur le front on retrouve les " créatives excentriques " tel que Galliano pour Maison Margiela ou Viktor &Rolf qui servent de soutien au discours la haute-couture est un art. Et les mises en scène de Guoi Pei ou Margiela le démontre savamment. Pour la dernière journée, tout ce petit ordre est condensé en un film. Un manifeste qui commence avec Maison Margiela et se conclut sur le chant du cygne de Valentino. La haute-couture se meurt dans un dernier grand geste ? Cette douce fiction mythique sert à jeter les bases d'un nouveau système couture. Cette semaine n'était pas un simple retour nostalgique dans les années 20 et 50 : c'était un retour à l'instant ou les classes sociales se creusent, ou les stéréotypes de genres et de sexes naissent et ou le modèle de la famille nucléaire se solidifie. Un retour dans le passé qui nous dit le conservatisme de notre présent. Est-ce sur ces bases rétrogrades que la haute-couture se renouvelle ?
La question : La Haute-Couture joue t-elle la carte utopique de l'élégance retrouvée pour mieux se muter en scénario dystopique pour la mode " populaire " ? En bref la Haute-couture : toujours plus inaccessible ?MAISON MARGIELA: La technique comme prolongement
Dans chaque bonne dystopie, il faut définir son rapport à la technologie. Avant le défilé Maison Margiela Atelier, John Galliano semble préciser la vision de la Maison Marigiela, puisque c'est par la voix du podcast qu'il évoque sa vision de la couture " ce sont les volumes qui font avancer la mode ". Résultats: des silhouettes surréalistes qui superposent tissus nobles ,comme tissus de la vie urbaine. Le tout dans une mise en scène ou la technique prend une place primordiale. Intitulé " En mémoire de " le défilé Margiela ne s'oppose pas aux nouvelles techniques et nous montre comment elles peuvent à la fois enregistrer l'histoire de la mode, et être au service de son avenir. Les réseaux sociaux, les téléphones, les tablettes sont les prolongements de la garde-robe d'une nouvelle société. Plutôt que de tuer la couture, les nouvelles techniques et leurs usages enrichissent la haute-couture et lui permettent de se réinventer. Mais atention le discours catastrophiste est également encouragé par ce défilé, ou les mannequins n'ont plus rien d'humain. Le trop de modernité ou un cataclysme profitable pour les détracteurs de la mode?
FENDI COUTURE : L'odeur de l'argent
La première tactique politique du défilé Fendi : marquer la rupture en changeant de nom. Il ne s'agit plus de Fendi Fourrure, mais Fendi Couture. Si certains manteaux semblent être en vison, ce n'est qu'un habile trompe l'oeil, orchestré par Karl Largerld et Silvia Fendi. " 80 % de ces vêtements ne sont même pas en fourrure ". Là on touche un autre versant de ce plan de renouvellement : Fendi se détache de la tradition fourrure de son Italie nationale pour toucher une nouvelle élite transnationale dont l'attachement à la peau de bête morte et beaucoup moins évident. En rompant avec la tradition nationale, Fendi entre dans le cours de la bourse Mondiale. Dans le Palais Brogniart, soit l'ancienne place de la Bourse française, l'ordre Fendi prend des allures de ménagères mondaines des sixties, amoureuse de Robert Delaunay. Tout un refrain mondain : le troisième acte du plan de renouvellement. Si certains codes trop liés à une élite poussiéreuse sont à éradiquer, certains deviennent les fermants du discours de l'exception " Fendienne ".
GUO PEI: la pierre humaine de la performance haute-couture
Chez Guo Pei le corps des femmes devient l'édifice des cathédrales du savoir-faire couture. Un défilé performance ou le poids des pièces contraint les mannequins à un pas lent, et oblige les spectateurs à regarder. À disséquer le travail de tous les compagnons de la couture qui bâtissent dans l'ombre. Guo Pei ne rend pas hommage à une religion mais au travail promulgué par l'idée du sacré. Un hommage à ceux qui ont tenté d'illustrer ce monde à coup de nombre d'or tout en pensant à de nouveaux équilibres dans les relations de pouvoirs. Les tenues sont rigides, noires irradiées de quelques pointes d'or : les utopies d'autrefois se sont envolées pour laisser place à un monde avec de nouveaux rites. Les refuges sacrés sont devenus des temples profanes. Et quel mal à cela ? En regardant la couture par le prisme de l'architecture française, la créatrice chinoise Guo Pei rend hommage à l'idée d'un patrimoine mondial qui transcende les divergences religieuses. Elle redonne l'occasion d'étudier la haute-couture comme un lieu où les mythes des civilisations prennent formes.
L'opulence des apparences une opulence dystopique ? En rangeant le sportwear, le décontracté et le jean du côté du prêt-a-porter, la haute couture se défait de toutes apparences qui pourraient laisser la confondre avec la couture. Elle est art, elle est raffinée, elle est excentrique, portable et importable. Une oeuvre qui se rend faussement accessible pour mieux nous échapper. Quelque chose de complexe
En alliant les nouvelles techniques à la garde robe de la société européenne qui l'a vu naître, la Haute couture se renouvelle sous un nouveau mode pour plaire à un monde d'acheteurs dont la sensibilité envers l'Europe à mutée.