Connaissez-vous Louis II de Bavière ? Bâtisseur de châteaux extravagants, ce souverain du XIXe siècle, cousin de
l'impératrice Sissi, fut tout son règne durant considéré comme fou par les uns, génial par les autres. Deux qualificatifs loin d'être incompatibles, que l'on soit tête couronnée, artiste ou
champion. Prenez notre Canto national, saint patron de Manchester, gourou de la secte des maillots volants et terreur d'Henri Michel. Footballeur à l'égo XXXL, esthète du ballon et tête de cochon
à ses heures, Eric Cantona a d'abord choisi, une fois ses crampons raccrochés, de bâtir son royaume sur du sable.
Devenu entraîneur de l'équipe de France de Beach Soccer, King Canto a fait des plages ensoleillées son domaine réservé. Il
y a connu ses premiers succès de coach en même temps qu'il poursuivait sa reconversion d'acteur de cinéma et soigné sa mégalomanie, plutôt sympathique au demeurant. Mais voilà que Cantona sort du
bois. Le désamour du petit peuple des pelouses pour Raymond Domenech, l'homme aux tacles aussi soudains que les demandes en mariage, a réveillé Mister Canto jamais tapi bien loin dans l'ombre de
"l'Outremangeur" barbu. Le lascar l'avoue sans que l'on sache s'il faut vraiment le croire : le poste de sélectionneur, le vrai, celui de l'équipe de France de football sur gazon, lui irait
plutôt bien, si tant est que les petits barons du ballon proclament nu l'ancien roi des Bleus…
Avec une réserve toutefois. Que les clés du royaume lui soient confiées sans conditions, hormis celle de
faire du beau jeu, de redonner du french flair et de l'allant aux cramponnés des surfaces à l'audace atrophiée par trop d'années de génie bridé dans des "blocs équipes"
parfois victorieux, mais aux prestations à peu près aussi bandantes qu'une assemblée de chaisières. Canto sélectionneur, on voit déjà le tableau. Des conférences de presse flamboyantes et
remplies d'énigmatiques prophéties. Des coups de gueules épiques, avec jets d'objets divers à la mode Ferguson. Une prime aux créateurs plutôt qu'aux anesthésistes du ballon, zélateurs d'un
catenaccio à chier, petits caporaux de "la Dèche" footballistique - c'est ton surnom, ce n'est pas un hasard Didier ! - qui se multiplient comme lapins en rut sur les bancs de Ligue 1.
Ce serait un sacré bordel. Ce serait la vie quoi ! Mais méfions-nous. Gaga de se terre d'adoption, King Canto pourrait bien convoiter le trône de sélectionneur de la perfide Albion, plutôt que de
se lancer dans une stérile guerre des Gaules avec les hiérarques version 1998 du foot français. Gare alors à son couroux et pauvres de nous, qui croyons encore, envers et presque contre tous, que
ce n'est pas une fatalité de sacrifier le génie sur l'autel du réalisme.