Le caprice du prince

Publié le 13 juillet 2018 par Guy Deridet

Après avoir été confortablement élu à la présidence de la République avec le concours de la quasi-totalité des médias français, M. Emmanuel Macron exige que sa majorité parlementaire lui concocte une loi contre la diffusion de « fausses informations » en période électorale. Peut-être prépare-t-il déjà sa prochaine campagne. Un article du Monde Diplomatique.



Après avoir été confortablement élu à la présidence de la République avec le concours de la quasi-totalité des médias français, M. Emmanuel Macron exige que sa majorité parlementaire lui concocte une loi contre la diffusion de « fausses informations » en période électorale. Peut-être prépare-t-il déjà sa prochaine campagne.

Le texte qui devrait être bientôt voté trahit à la fois la cécité des gouvernants quant aux contestations qu’ils affrontent et – en même temps – leur inclination à imaginer sans cesse des dispositifs coercitifs pour y remédier. Il faut en effet avoir la vue basse pour croire encore que la victoire des candidats, des partis ou des causes « antisystème » (M. Donald Trump, le Brexit, le référendum catalan, le Mouvement 5 étoiles en Italie...) serait due, même marginalement, à la dissémination de fausses nouvelles par des régimes autoritaires.

Depuis plus d’un an, la presse américaine s’acharne à démontrer, sans éléments probants, que le président des États-Unis doit son élection aux fake news fabriquées par M. Vladimir Poutine ; M. Macron paraît habité par le même type d’obsession. Au point d’espérer la conjurer par un dispositif inutile autant que dangereux. Inutile : consulté sur le sujet, le Conseil d’État a rappelé le 19 avril dernier que « le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant, en substance, à lutter contre la diffusion de fausses informations ». En particulier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui permet de réprimer la diffusion de fausses nouvelles et les propos diffamatoires ou injurieux. Dangereux : la proposition parlementaire demanderait à un juge d’agir dans les quarante-huit heures pour «faire cesser la diffusion artificielle et massive (...) de faits constituant des fausses information.

Pourtant, relève encore le Conseil d’État, ceux-ci « sont délicats à qualifier juridiquement, à plus forte raison lorsque le juge saisi doit statuer à très brefs délais».

Enfin, le dispositif imaginé par M. Macron renforce démesurément le « devoir de coopération» avec les autorités publiques des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs, puisqu’il étend à toute «fausse information» une contrainte qui au départ visait à prévenir... « l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine ainsi que la pornographie enfantine».

La détention des médias par des milliardaires amis du président de la République, l’intoxication publicitaire, l’étouffement financier des chaînes de télévision publiques ne font pas, eux, l’objet d’une proposition de loi. Et puis, pourquoi réserver un attirail judiciaire aux seules périodes électorales? Pour s’en tenir aux dernières décennies, presque chaque guerre – celles du Golfe, du Kosovo, d’Irak, de Libye –avu proliférer les mensonges et les manipulations de l’information. Non pas à cause de Moscou, de Facebook ou d’autres réseaux sociaux, mais parce que des maîtres de la démocratie et du journalisme en étaient les auteurs : les plus grands quotidiens occidentaux, le New York Times en tête, la Maison Blanche, les grandes capitales européennes. Sans oublier le gouvernement ukrainien le mois dernier, qui annonça la fausse mort d’un journaliste russe. Si un juge devait un jour mettre la main au collet des criminels qui ont propagé toutes ces fausses nouvelles, au moins connaîtrait-il déjà leur adresse…

Serge Halimi
Le monde Diplomatique, juillet 2018