A la suite de l’éclatement du scandale Cambridge Analytica, la tête de Facebook a été mise à prix. Le présent article a pour objet de mettre en lumière l’affrontement informationnel entre Mark Zuckerberg et Elon Musk, dont les motivations profondes relèvent d’enjeux stratégiques beaucoup plus importants.
La révélation par le New York Time et The Guardian, sur la collecte de données personnelles de Facebook par Cambridge Analytica, pour influencer le vote lors des dernières présidentielles aux Etats-Unis, une avalanche de critiques les plus acerbes s’est abattue sur le réseau social et son promoteur Mark Zuckerberg. L’une des manifestation phare a été la campagne #deletefacebook sur Twitter qui a connu l’adhésion de certaines personnalités de la Silicon Valley, telles que Brian Acton, cofondateur de WhatsApp, ou encore Elon Musk. Mais qu’est-ce qui peut bien expliquer une telle adversité entre ces deux génies de la Tech ?
La réponse à cette question est à rechercher du côté des enjeux liés à l’intelligence artificielle. En effet, les deux hommes divergent de point de vue sur la portée et l’impact de cette technologie disruptive voire susceptible de porter et légitimer les thèses transhumanistes.
Le cash
En effet, Musk considère que « L’intelligence artificielle est un danger fondamental pour l’existence de la civilisation humaine ». A l’inverse Zuckerberg estime que l’émergence d’algorithmes de plus en plus sophistiqués « va tellement améliorer notre vie » … Un affrontement informationnel est ainsi lancé entre les deux tycoons : quel sous-jacent économique alimente cet affrontement ? la réponse est à rechercher du côté de la suprématie recherchée par les promoteurs de l’IA…
Déjà en décembre 2016, le rapport Mary Meeker’s annual Internet Trend Report soulignait que le téléphone mobile mangeait le monde et que les GAFA le dévorait par ce moyen. Ce même rapport paraphrasait Sundar Pichai (PDG de Google) qui déclarait que l’humanité se dirigeait après, le « tout mobile » vers le « tout IA », prédisant ainsi la continuité de la suprématie des GAFA. Ces GAFA sont d’ailleurs regroupées pour créer à fin 2016, la Partnership On AI, une organisation à but non lucratif dédiée à la promotion des meilleures pratiques en IA. Elle réfute toute position de lobbying même si elle se dit disposée à accompagner les pouvoirs publics par des avis sur la question. Et pour soutenir cet point, elle s’est ouverte à des organismes à but non lucratif comme l’Unicef ou Human Right Watch… : une belle parade anoblissant cet organe d’influence destiné à assurer un environnement favorable à l’essor de l’IA.
Si l’on en croit la doctrine des Transhumanistes, les détenteurs de l’IA seront les maîtres de l’humanité dans un proche avenir. Musk malgré son génie entrepreneurial, a pris du retard sur le sujet de l’IA, et sera assurément à la merci des GAFA si le terrain est laissé entièrement libre à l’emballement de l’innovation de l’IA.
La campagne d’influence de Musk
Dans cet affrontement, Musk a mis en branle une campagne d’influence pour essayer de contrecarrer cette dangereuse montée en hégémonie des GAFA en montrant l’IA et le « machine learning » comme une menace pour l’humanité. La première étape de ce processus commence par la quête d’une légitimité dans le débat en s’appuyant sur des références comme les intellectuels comme Francis Fukuyama foncièrement opposé aux thèses transhumanistes ou encore des scientifiques respectés comme Stuart Russell foncièrement opposé aux thèses de Raymond Kurzweil, distingué professeur du MIT et qui a rejoint l’équipe IA de Google. Ce dernier a prédit que les nanotechnologies donneront naissance à « l’Homme Augmenté » et théorisé sur « l’atteinte du point de singularité »…
Ainsi à la vidéo de Zuckerberg déclarant « je suis optimiste sur le sujet de l’IA et imaginer un scénario apocalyptique, c’est irresponsable », Musk a tweeté « J’ai parlé à Mark de cela. Sa compréhension du sujet est limitée », réclamant ainsi une certaine légitimité sur le sujet…
La deuxième étape consiste en une campagne de diplomatie publique auprès des pouvoirs publics. Invité à une conférence de la National Governors Association, un creuset regroupant l’ensemble des Gouverneurs Américains, Musk déclarait : « L’intelligence artificielle est l’un des rares cas où je pense que nous devons être proactifs dans la régulation, au lieu d’être réactifs. Car le temps que nous réagissions, il sera trop tard ». il a répété le même exercice lors du World Government Summit à Dubai. Il est en effet surprenant d’entendre l’un des fanatiques de la dérégulation, réclamer avec autant d’énergie une réglementation préventive ou anticipative, sauf à démontrer qu’il serait prêt à accepter la même chose sur les activités de conquête de l’espace dont il est l’industriel privé en chef…
L’autre dimension de la campagne d’influence mise en branle par Musk est la création et le financement de Open AI, une association but non lucratif, dotée de $ 1 milliard de ressource à recevoir de généreux donateurs… Elle est destinée à promouvoir les start-ups dans le développement de l’IA maitrisé et en open source… Mais à y voir de plus près, cette fondation s’apparente davantage à un instrument destiné à permettre à Musk de garder un pied dans le domaine et ne pas être totalement exclu. En effet, la croissance des grands groupes de technologie, une fois le cœur du business assis et les canaux d’afflux des financements maitrisés, n’a pas toujours été organique. Elle s’opère également par une croissance externe via des acquisitions ciblées de start-up grâce à une veille extrêmement efficace couplée de moyens financiers très persuasifs. Ainsi financer une fondation dédiée aux start-ups dans l’IA permet à Musk non seulement d’avoir un pied en attirant les jeunes génies créateurs dont la capacité d’innovation est aujourd’hui le fer de lance de cette course à l’IA, mais aussi de jouer un rôle avant-gardiste pour ne pas laisser ces pépites à la solde des GAFAM…
Déclarer que l’IA est un danger pour la civilisation humaine contraste quelque peu avec l’investissement dans DeepMind, l’une des start-ups qui fait référence dans le domaine de l’IA. Cette pépite technologique a été l’objet d’intérêt de la part de Musk, même s’il explique dans un article du Vanity Fair qu’il y est rentré pour mieux appréhender les capacité de l’IA. Cette entreprise britannique, a depuis lors été avalée par Google qui en a fait son fer de lance dans la quête de l’IA…
Facebook n’a pas disparu après ce scandale
Il apparaît ainsi que le scandale de Cambridge Analytica tombait à point pour Musk afin d’affaiblir l’une des têtes de pont dans cette bataille autour de l’enjeu stratégique qu’est l’IA. Facebook étant la principale arme de guerre économique de Zuckerberg, rejoindre la campagne #deletefacebook aurait pu permettre à Musk de réduire les capacités de son adversaire. La valeur de l’action FB a baissé de près de 10% quelques semaines après l’éclatement du scandale, entraînant une perte de l’ordre de huit milliards d’euros… Certains investisseurs n’ont pas hésité à demander la démission de Zuckerberg, une période particulièrement difficile pour le jeune entrepreneur.
C’était sans compter sur les capacités de résilience du jeune entrepreneur. En effet, le nombre de souscripteurs FB a connu depuis lors une croissance aux USA. Par ailleurs, aussi bien le cours de l’action que les résultats au premier trimestre 2018 de la société, n’ont été aussi élevés, faisant du mouvement #deletefacebook un lamentable flop. Zuckerberg a préparé et réussi son audition au Congrès Américain ainsi que devant le parlement européen, affichant une posture de « faible » totalement disposé à prendre des mesures correctives pour protéger les données personnelles récoltées auprès de ses milliards de souscripteurs.
Les enjeux stratégiques de l’IA donnent une quintessence cognitive et pratique aux thèses transhumanistes ouvrant une nouvelle ère à l’humanité. Contrôler l’IA donne assurément un avantage hégémonique pour lequel les leaders actuels de la nouvelle économie sont prêts à tout donner. Les affrontements informationnels enregistrés ces derniers mois entre Musk et Zuckerberg, trouvent leur motivation dans les enjeux stratégiques pour l’humanité qu’est l’IA. Cet affrontement semble loin d’être terminé et une véritable guerre de déstabilisation contre les GAFAM voire entre GAFAM n’est pas exclue.
Mais cette guerre fratricide semble occulter d’autres menaces qui sont ailleurs qu’aux Etats-Unis d’ Amérique, dont l’une des faces visibles sont les BAXT et le Gouvernement chinois, même s’il est vrai que l’Administration Trump a sorti du boisseau la stratégie publique américaine en déclarant ouvertement la guerre économique et technologique à la Chine, notamment en manipulant la politique douanière et en verrouillant les transferts de technologie.
Sahid Yallou
Quelques références sur les défis de l’IA et du transhumanisme :
- Pascal Picq, Le nouvel âge de l’humanité, Paris, Editions Allary, 2018.
- Laurent Gayard, Darknet Gafa Bitcoin, Paris, Slatkine et cie, 2018.
L’article A qui profite le scandale de Cambridge Analytica ? est apparu en premier sur Infoguerre.