Un occidental, qui se dit extrêmement intéressé par le Zen, profite de sa première rencontre avec un maître
de cette tradition pour lui demander ce qui est le plus important lorsqu’on pratique la méditation appelée
zazen.
Le maître prend une ardoise et écrit : « Attention ! »
Désireux d’en savoir plus cet homme se permet de dire : « Oui, mais encore ? »
Le maître reprend l’ardoise et écrit : « Attention ! Attention ! »
Quelque peu excédé par ce manque d’explication, l’homme venu de si loin se permet d’insister : « Je
comprends, mais pourriez-vous m’en dire plus ? »
Le vieil homme reprend l’ardoise sur laquelle il écrit : « Attention ! Attention ! Attention ! »
Il est dommage, lorsqu’on est intéressé par la méditation, de faire l’amalgame entre les mots attention et
conscience. Lorsque j’ai commencé la pratique de la méditation de pleine attention (Achtzamkeit
Meditation), que Graf Dürckheim a proposé à l’homme occidental à son retour du Japon où il s’est plongé
dans le monde du zen pendant une dizaine d’années, il m’a dit :
«Lorsque vous pratiquez la méditation appelée zazen, il ne s’agit pas, en tant que sujet, de vous concentrer
sur un objet, par exemple, la respiration. Cette manière de pratiquer engage la conscience qui objective.
C’est la conscience ‘’de‘’ quelque chose. Dans cet usage de la conscience, il y a moi, numéro un, et
quelque chose, numéro deux, la respiration. Lorsqu’on pratique la méditation de pleine attention on ne
peut pas se permettre de chosifier ce qui n’est pas quelque chose : l’acte de respirer.
C’est pourquoi je vous invite, non pas à vous concentrer sur quelque chose : la respiration, mais à sentir
que : « Tiens ! En ce moment —Je inspire— … Tiens ! En ce moment —Je expire— … ».
Dès la mise en pratique de cet exercice, je découvrais que ce qu’on appelle la pleine attention est,
concrètement, la pleine sensation. Il est vrai que tout se qui se présente à l’être humain, comme à l’animal
se présente à travers les sens et pas à travers la pensée.
Zazen, c’est se glisser dans le sentir, l’acte pur de
sentir.
Cette manière de pratiquer devenait aussitôt ce qu’elle devrait être pour toute personne intéressée par le
mot méditation : une rupture avec ma manière d’aborder le réel, une rupture avec ma manière de penser
habituelle et une rupture avec ma manière de faire habituelle.
En exerçant la pleine attention à « Je Inspire »… en ce moment », j’ai pu faire la différence entre
l’expérience du réel et les représentations que je me fais du réel. En effet, lorsque « Je inspire », expérience
du tout corps-vivant que je suis dans son unité, ce que je nomme « l’expire » n’a aucune réalité. Le mot :
« expire » est une représentation mentale d’une réalité qui a été et qui peut-être sera. Expérience apaisante
que celle de ne pas être attaché, en pensée, au passé qui n’est plus et à l’avenir qui n’est pas encore.
En persévérant dans la pratique de la pleine attention, il m’arrivait de me sentir libéré de l’activité mentale
incessante, du foisonnement des pensées autonomes, qui nous empêchent de vivre le moment présent.
Nonobstant, il m’arrivait et il m’arrive encore de vouloir « fixer l’attention ». Or, il est impossible de fixer
l’attention, ce processus du corps-vivant (que nous partageons avec l’animal) coule … coule… comme l’eau
du ruisseau… coule, comme le souffle… coule.
La pleine attention - l’attention fluide - m’a, un beau matin, plongé dans une expérience inattendue et
bouleversante : « En ce moment, je inspire et moi, je n’y suis pour rien ! » … « Je expire et moi, je n’y suis
pour rien ! ».
MOI ! Ce mot composé de trois lettres, semble être celui que nous prononçons le plus souvent au cours de
chaque journée. (Moi je pense que ; moi je crois ; moi je n’aime pas ; moi je veux ; moi je suis ce que je
pense que je suis ; etc.)
Cette expérience du « Je n’y suis pour rien » n’était pas un constat mais un ressenti, un vécu intérieur ;
immersion inattendue dans un champ intérieur qui est le domaine du calme. Un calme qui n’est pas le
contraire des réactions telles que l’agitation, la nervosité, l’impatience, le stress, mais l’absence totale de
ces réactions mentales, affectives et physiques.
Parlant de cette expérience avec Graf Dürckheim, il me dit : « Existe en chaque être humain, une
dimension du réel, qui se manifeste dans l’expérience de cette qualité d’être : le grand calme intérieur.
Une qualité d’être qui révèle la présence de ce niveau d’être que les maîtres zen désignent comme étant la
vraie nature de l’être humain. Cette expérience vous permet de concevoir que l’homme ne souffre pas d’un
manque ; il souffre d’ignorer ce qui ne manque pas ! Le mot méditation devrait être entendu comme étant
un chemin de libération de l’ignorance. »
Vous méditez ? Ne soyez pas passif ! La pleine attention est l’effort qui ouvre sur la connaissance de notre
être essentiel, de notre vraie nature. Le mot —Nature— désigne ce qui est en train d’être créé et coule …
coule … comme le souffle coule.
Si l’Occidental perçoit l’impasse à laquelle sa pensée l’a conduit, il reconnaîtra
qu’il est vain d’essayer d’en sortir par les moyens qui l’ont créée. Si par ailleurs,
il renonce à la solution facile de la fuite, il sera obligé de prêter l’oreille à la voix
de son être essentiel insaisissable à la pensée objective.
(K.G.Dürckheim)
***