Passé maître dans l’art de l’absurde au cinéma, Quentin Dupieux continue d’explorer le genre dans son dernier long-métrage, profitant d’une situation plutôt classique au départ – un interrogatoire entre un policier et un suspect – pour glisser progressivement vers la folie douce et l’absurdité. Le talent du réalisateur est tel qu’il le fait toutefois avec une cohérence remarquable, chaque digression étant parfaitement logique avec les codes préalablement établis. Certes, les temporalités se confondent constamment, de même que les niveaux de narration se mélangent régulièrement, mais il se dégage paradoxalement de l’ensemble une incroyable maîtrise formelle et scénaristique. Une maîtrise à laquelle la qualité des dialogues n’est certainement pas étrangère. Formidablement bien écrits, ceux-ci donnent effectivement lieu à de nombreux jeux de mots hilarants, transcendant comme jamais la banalité du quotidien. Bien sûr, tous les échanges ne font pas nécessairement mouche, et certaines répliques déçoivent peut-être par leur facilité, mais l’écriture reste malgré tout d’un excellent niveau, notamment pour sa capacité à amener subtilement les effets comiques désirés.
Aussi brillante soit-elle, l’écriture ne serait toutefois rien sans l’interprétation géniale des acteurs. D’une subtilité impressionnante (rythme, phrasé, mimiques…), ils démontrent tous une superbe aisance dans le registre de la comédie absurde. En particulier Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig, tous deux jouissifs dans leur rôle respectif. De la retranscription des va-et-vient du suspect aux débats sur l’utilisation de certaines expressions, en passant par la représentation des souvenirs, la plupart de leurs échanges s’avèrent tout bonnement succulents. Nul doute que le même texte déclamé par d’autres comédiens n’aurait pas eu le même impact. A leurs côtés, on signalera également la vraie valeur ajoutée des seconds rôles (Marc Fraize, Anais Demoustier, Orelsan, Philippe Duquesne), tous impeccables, qui déballent, eux-aussi, leurs banalités avec une force comique indéniable. Finalement, le seul reproche que l’on pourrait faire au film est sa durée particulièrement ramassée (1h15 à peine) qui laisse indéniablement un petit goût de trop peu à l’issue de la séance.Fort de son écriture intelligente et de son casting remarquable, Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig en tête, Au Poste ! s’impose donc comme une comédie absolument incomparable, à l’humour absurde dévastateur et extrêmement contagieux.