Droits culturels : de la théorie à la mise en oeuvre.

Publié le 10 juillet 2018 par Ep2c @jeanclp

Le Ministère de la culture et de la communication continue d'avoir quelques difficultés avec le concept de droits culturels et ne parvient pas à se libérer de son confortable attachement à « l'élargissement des publics » de l'offre culturelle.

Las.... ce n'est pas seulement son engagement financier qui se réduit comme peau de chagrin mais, bien plus gravement son magistère, sa capacité à produire une vision stratégique et des principes partageables de régulation et d'équité.

Comme je le suggérais non sans une certaine ironie dans ma précédente note, malgré quelques déclarations générales du genre qui n'engage finalement pas à grand chose, il semblerait bien que le Ministère de la culture et de la communication persiste à avoir de gros problèmes de compréhension quant au principe des droits culturels.
Peureusement retranchée dans ses références et ses filiations (« élargir le cercle » des « bénéficiaires » de « l'offre » « culturelle »), la puissance publique dans son versant État/administration centrale, on dirait bien que les « droits culturels » ça lui prend la tête... et grave encore !
Or, ce ne sont pas seulement les budgets de l’État qui se réduisent comme un peau de chagrin, ni ses effectifs, mais son magistère, sa capacité à mettre en avant une vision stratégique et prospective, à assurer la régulation des mécanismes du marché, à assurer l'équité territoriale.
Peut-on se satisfaire des annonces (et des budgets de comm' correspondants ) sur le loto du patrimoine, le pass' culture ou la « culture près de chez vous » ?

Digression : un monument en péril prioritaire pour la loterie de Stéphane Bern ?

On a souvent et longuement évoqué ces questions ici (voir références en fin de note) et rendu compte de l’infatigable combat de Jean-Michel Lucas (alias Dr Kasimir Bisou), combat formellement victorieux (inscription du principe dans la législation); pratiquement encore en chantier (comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement si l'on entend comme il se doit ce qui est interminablement en jeu dans le rapport entre culture et démocratie?), « mis en travail » sur la base de choix politiques locaux qui (pour le moment... soyons positifs) ne semblent pas susciter outre mesure l'intérêt de l’État.

Quelques pas de plus, donc..


D'abord, rappel des enjeux grâce à une recension d'une récente publication du dit protagoniste dans un organe de presse tout acquis à sa cause .

LES DROITS CULTURELS VUS PAR JEAN-MICHEL LUCAS : HISTOIRE D’UNE DÉMOCRATIE À L’ŒUVRE
Publié par Pierre Monastier | 21 Juin, 2018 |
Extrait :
« La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 1995. » Cet article 103 de la loi NOTRe, fruit d’une intervention de la sénatrice Marie-Christine Blandin, a connu une entrée législative que Jean-Michel Lucas n’hésite pas à qualifier de « chaotique ».
La tradition des droits culturels n’est guère connue en France. Notre auteur s’amuse à nous signaler les traces, jusqu’à remonter progressivement à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Les droits culturels sont en toute hypothèse indissociables des autres droits humains », écrit-il en conclusion de son chapitre, avant de s’étonner de l’ignorance « de nombreux acteurs de la politique culturelle française » sur le sujet.
C’est que les droits culturels n’ont pas toujours été compris de la même manière. C’est pourquoi Jean-Michel Lucas consacre un chapitre entier à la Déclaration de Fribourg, qui définit une conception globale des droits culturels, avant de décliner ses derniers : le choix identitaire, les relations libres aux communautés de son choix, la participation à la vie culturelle, l’éducation, la communication (et information) et la coopération.

© Profession spectacle/Pierre Monastier.

Lire l'intégralité de la recension.

Jean-Michel Lucas a bien voulu me communiquer quelques documents qui attestent des formes prises par cette mise en travail sur le territoire de la Région Nouvelle-Aquitaine.
Je me réjouis de contribuer à les rendre accessibles (dans un champ gravement affecté par la maladie infantile de la grandiloquence, ce blog garde vivace l'exigence d'analyses concrètes des situations concrètes).

1) La législation française en matière culturelle a changé : elle exige maintenant que les collectivités et l'Etat définissent et conduisent leurs politiques culturelles dans le respect des droits culturels des personnes.


2) La référence aux droits culturels provient de textes internationaux sur les droits humains fondamentaux que la France s'est engagée à inscrire dans sa législation interne.
3) Il n'échappe à personne que ces textes sont méconnus. C'est pourquoi la Région Nouvelle Aquitaine a décidé d'engager une réflexion collective préalable à la mise en œuvre de la nouvelle législation. Cette démarche de réflexion est co-pilotée par Eric Correia, Conseiller régional, délégué aux droits culturels et à l'économie créative et Jean Michel Lucas, accompagnés d'Aline Rossard, de la Ligue de l'enseignement, et des services de la Direction de la culture de la Région, notamment en son sein, Luc Trias
4) Dans ce cadre, il est apparu raisonnable de donner du temps à cette réflexion qui se déroulera de Septembre 2017 à Décembre 2018.
5) Pour que les mesures à prendre soient en phase avec la réalité des acteurs, la démarche associe des volontaires qui souhaitent apporter leur contribution à la réflexion collective.
6) Un appel à volontariat a été lancé en Avril 2017 qui a donné lieu à plus de 50 réponses de volontaires. 13 se sont vu attribuer une subvention de la région pour conduire un projet spécifique. Les autres ont accepté de puiser dans leur expérience pour nourrir la réflexion de tous.
D'autres acteurs volontaires acceptant la méthodologie de la démarche proposée ici, pourront contribuer, à leur mesure, à cette réflexion au fur et à mesure de sa progression. Pour ce faire, des rencontres avec eux sont envisagées à la demande.
7) La réflexion collective repose sur une ambition précise : il s'agit de proposer à la Région un ensemble de recommandations garantissant que ses règlements d'intervention soient à la fois cohérents avec la nouvelle législation sur les droits culturels et adaptés aux pratiques effectives des acteurs.

Télécharger le document.

J'invite ceux qui ont encore le loisir de lire à prendre connaissance de cet  autre imposant document issu d'échanges, de réflexions collectives, d'écritures individuelles.

Extraits:

Au vu des écrits des volontaires, il apparaît que leurs activités sont très souvent en phase avec  les fondements des droits culturels mais rarement interprétées comme telles, ni par les volontaires,  ni par les institutions publiques. Beaucoup de ces activités ne sont même pas nommées par les  politiques culturelles habituelles. On peut penser que les projets de ces acteurs  seraient  mieux  valorisés  si la politique en matière culturelle prenait en compte, comme le veut l'article 103 de la  Loi NOTRe, les enjeux des droits humains fondamentaux, et notamment des droits culturels des
personnes.

Toutefois,  les nombreuses réunions de discussion ont montré qu'il n'était  pas si facile de passer  du regard habituel sur les activités culturelles et artistiques à une interprétation qui voudrait affirmer  sa cohérence avec les droits culturels.

Il a même été dit, à plusieurs reprises, que les mots des « droits fondamentaux » avaient une connotation «rébarbative », au sens où décrire les pratiques des acteurs en termes de liberté, de dignité, d'humanité apparaît vite comme « rhétorique » ou « grandiloquent ».

C'est pourquoi, avant d'indiquer comment nous allons prolonger la réflexion, il nous paraît important de lever l'obstacle des mots qui bloquent la compréhension des droits culturels.
Nous retiendrons huit d'entre eux  dont l'interprétation critique permet, nous semble-t-il, de passer progressivement de l'interprétation habituelle de la politique culturelle à une approche cohérente avec les droits culturels des personnes.
L'interprétation de ces huit mots a été soumise à la critique des volontaires et la présente note en tient compte.
Une fois ces mots réinterprétés, nous pourrons proposer les trois chantiers prioritaires autour desquels nous proposons de poursuivre la réflexion collective pour faire évoluer les règlements d'intervention de la Région Nouvelle-Aquitaine, en cohérence avec l'article 103 de la loi NOTRe et en adéquation avec les pratiques de terrain des acteurs.

Huit mots pour changer de regard :
« publics », « offres culturelles », « besoins culturels », « création », « culture », « démocratisation de la culture », « médiation culturelle », « transversalité ».

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Résultat, cette délibération du Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine qui traduit en principes et dispositifs d’intervention une politique nouvelle dans le domaine du spectacle vivant.

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Aller plus loin avec Jean-Michel Lucas

Textes et contributions sur le site de l'IRMA

Page FB du Dr Kasimir B.

Page Facebook Les droits culturels.

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Chapitres précédents sur La Cité des sens

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Droits culturels : continuons le débat.

Le mérite des contributions évoquées dans cette note est de constituer un appel à la vigilance : la récente inclusion des droits culturels dans l’article 103 de la loi NOTRe, désormais une loi de notre République, ne saurait en aucune manière clore le débat.

Droits culturels : une longue histoire

Il est peut-être utile de situer le débat récent sur l’inscription ou non dans la législation française du concept de droits culturels dans un horizon historique plus large que celui de la signature par la France, dans les années 2000, de conventions internationales portant sur la nécessité de reconnaître, protéger et promouvoir la diversité culturelle.

Des droits culturels (1968) aux droits culturels (2015)

Je voudrais continuer le parcours engagé dans ces notes précédentes, de façon à attirer l’attention sur l’histoire des notions successives ou sédimentées qui ont fondé et légitimé l’intervention publique dans les affaires culturelles.Toutefois, je ne suis en aucune manière historien. Il ne s’agit donc que « d’arrêts sur image »...

Droits culturels : débat public ou théâtre d'ombres ?

"Le défi lancé est tout autre : penser, ensemble, la différence par laquelle toutes les sociétés (en des modalités variables) ont séparé et séparent du quotidien ordinaire, un domaine particulier de l'activité humaine, et les dépendances qui inscrivent (de diverses manières) l'invention esthétique et intellectuelle dans ses conditions de possibilité et d'intelligibilité".

(Roger Chartier, 1991).

Droits culturels et développement durable.

 Le paradigme du développement culturel, orienté par les valeurs de la démocratie culturelle, est entré en relation avec l’attention internationale accrue portée aux conditions d’un développement durable, depuis le rapport Brundtland (1987) jusqu’aux Déclarations de l’Unesco sur la diversité culturelle (2001, 2005), la fondation de l’Union des Cités et Gouvernements Locaux pour le développement culturel (Agenda 21 de la culture) et la Déclaration de Fribourg sur les Droits Culturels (2007).

Consultez aussi ces pages sur La Cité des sens.

Liens conseillés.

 Lecture et bibliothèques.

 Actualités des politiques culturelles.

 Politiques culturelles (mon fil d’actualités sur Scoop'IT)

 Création sociale et innovations culturelles

 Politiques culturelles : ressources et documents.

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