(Carte blanche) à Claude Minière : "Relire Charles Olson"

Par Florence Trocmé


Relire Charles Olson

Relire Charles Olson, ses poèmes, et, pour ce qui nous occupera aujourd’hui, son Vers Projectif (« Projective Verse »), sorte de manifeste, ou plutôt de « performance » (le texte étant en train de s’écrire sous les yeux et à l’oreille du public). Paru une première fois en France dans la revue Tel Quel à l’automne 1964, avec un commentaire de Marcelin Pleynet, Vers Projectif est à lire désormais dans le recueil Les martins-pêcheurs et autres poèmes composé par Auxeméry pour les éditions Virgile en 2005. Le texte est foisonnant mais son intention principale est de promouvoir le projectif contre le non-projectif.  Il marque un nouvel engagement poétique, une nouvelle manière de vivre et penser la poésie. Il a parfois des accents claudéliens mais se veut libre, moderne, américain.
Le pré carré et l’ouverture du champ
Olson oppose la composition par champ et le vers projectif au vers fermé et au poème carré. « La poésie, si elle veut aller de l’avant, et si elle se veut d’usage essentiel, doit, me semble-t-il, se saisir de, et s’intégrer, certaines lois et possibilités du souffle, de la respiration de l’homme qui écrit, aussi bien que de ses facultés auditives ».  Le vers projectif, ouvert, parvient à son accomplissement quand il est décharge d’énergie. A partir du moment où le poète s’aventure dans la composition par champ et se met lui-même dans l’ouvert « il ne peut suivre d’autre piste que celle que suit précisément le poème en train de s’écrire, pour soi-même ». Le poète est tout à son poème.
Les déclarations d’Olson pourront peut-être apparaître à certains comme trop prescriptives (et parfois naïves). Elles sont « datées ». Mais qui s’est placé dans l’ouvert saura reconnaître là l’effort déployé pour inviter à une expérience sensuelle et spirituelle.
Le poème comme explication (déploiement)
« La forme n’est jamais plus qu’une extension du contenu » souligne Charles Olson. Le vers est projeté, ou projection, non parce qu’il viserait un but (comme le font les poètes du poème carré) mais parce qu’il répond avec impétuosité à une impulsion qu’il réalise et déplie. Levée des inhibitions, oubli des calculs, transport de la charge émotionnelle initiale. Olson sera conduit à l’épopée (espace large, progression cinétique), à souhaiter un poème moderne qui ait la « sauvagerie » de l’épopée.
On peut penser que ces qualités paraissaient acquises par les lecteurs de Pound, de Williams et de Creeley mais le danger de leur étouffement était (est) toujours là. Olson aspire à un contenu vaste et des formes étendues, à de l’air frais.
Il demeure aujourd’hui intéressant de voir ce qui s’est joué dans les années 50 touchant à la manière de prendre le poème, de se laisser prendre par lui, d’habiter ce monde en poète. La déclaration d’Olson est pleine de vigueur, s’appuyant sur le logos et les « lois » de la pratique poétique. Par son manifeste il s’avance et en même temps fait retour sur sa force.  Je dirai qu’il fait retour sur sa jeunesse. 
Jeunesse
Quand Projective Verse est publié dans la revue Poetry de New York, en 1950, Charles Olson a 40 ans, T.S. Eliot soixante-deux. Auxeméry le rappelle, Eliot, policé et cérébral, est la bête noire d’Olson. La poésie, c’est la jeunesse (on doit se méfier des poèmes de Vieux, ils sont pervers). Il y a ainsi dans Vers Projectif un très beau passage (p. 80-83) sur la syllabe, début, racine, source, présence physique « Mes remarques n’ont pas d’autre ambition que de faire démarrer les choses » note Olson. Et en effet, à cette époque, en Amérique, s’exprimait une exigence et se vivaient des espoirs de nouveau départ.  C’était l’époque du Black Mountain College – où la danse était associée à la peinture et à la poésie, « danse de l’intellect parmi les mots » selon la définition d’Ezra Pound.
Ce qui deviendra par la suite plus net : le poète ne fait pas un poème, son écrit enregistre une séance d’enthousiasme.

Claude Minière