L'Europe et plus particulièrement la zone euro sortent doucement d'une période charnière qui aura vu la crise des subprimes américaines causer une crise financière mondiale, un besoin massif d'argent public, et une crise des dettes souveraines européennes à laquelle la plupart des gouvernements européens ont répondu en enclenchant des politiques d'austérités.
De 2012 à 2015, le chômage dans la zone euro a explosé. L'économie européenne peine à se remettre de ces crises : les inégalités de revenus augmentent, avec eux les contrats précaires. La croissance est trop timide pour endiguer le choc. Pire, la déflation guette.
Rendons à César ce qui lui appartient : la Banque Centrale Européenne a agi, parfois là où les décideurs politiques n'ont pas su prendre leurs responsabilités, en assurant la liquidité des marchés et en rachetant plus de 2000 milliards de dettes - souveraines d'abord, puis celle des entreprises à partir de 2015 - soutenant donc l'économie par plusieurs entrées.
La machine européenne a pris du retard à l'allumage : acculée par la crise, les déficits et les politiques d'austérité, l'économie européenne n'a pas renoué pas avec une croissance nette aussi rapidement que ces pays ayant fait ce choix plus tôt.
La BCE ne voulait pas vraiment endosser cette responsabilité, finalement très politique. En effet, à ce moment de l'histoire, c'est une relance keynésienne que beaucoup appellent de leurs vœux. Il aurait en outre été souhaitable de voir fleurir des politiques, à l'échelle nationale ou européenne, de relance de l'économie par de grands investissements, ou de soutien de la demande qui est en berne depuis la crise des subprimes. Mais tous les états membres ne le voient pas de cet œil et tous ne jouent pas le jeu. C'est finalement l'action de la BCE, le Quantitative easing et le rachat de dettes - ainsi que la chute du baril - qui va créer un petit choc économique et permettre à l'économie européenne de reprendre quelques couleurs : la BCE a agi là où nos gouvernements nous ont lâchés, par idéologie, inertie ou tergiversations sans fin.
Depuis 2012, la BCE a en effet racheté plus de 2000 milliards de dettes, issues des états et des entreprises, à mesure de 60 milliards par mois entre mars 2015 et mars 2016, 80 milliards par mois répartis entre la dette publique et la dette privée des entreprises d'avril 2016 à mars 2017, pour enfin revenir à un rythme de 60 milliards par mois jusqu'à la fin 2017.Ce sont des chiffres sur lesquels on communique peu. Et à côté desquels les chiffres du plan d'investissement de la commission, le plan Juncker - largement insuffisant même si on estime à 72000 le nombre de PME françaises ayant déjà profité du plan fin 2017 - proposant d'investir 315 milliard dans l'économie européenne font pâle figure.
Le plan de rachat massif est une manière de contribuer au rétablissement des comptes publics, et reste une décision très politique, surtout pour un acteur comme la BCE. Une politique économique européenne est donc possible, elle doit être plus politique. La BCE a exercé ce rôle dans les limites de ce mandat, et l'Union doit se doter d'une gouvernance économique plus démocratique, plus active, plus ambitieuse aussi pour mieux anticiper les besoins, et surtout, assurer de manière plus concrète le "Service Après Vente" de ces mesures.
L'exemple de la BCE montre qu' une politique économique européenne est non seulement possible mais souhaitable. Il faut aller beaucoup plus loin puisque l'on constate - en plus du déficit démocratique de tels mesures - des limites en termes de contreparties qu'il faut absolument pouvoir contrer beaucoup plus politiquement et proactivement.
En effet et malheureusement, l'argent créé de cette manière n'est pas bien arrivé pas dans la poche des citoyens - si la conjoncture aurait dû être propice à l'investissement, la réalité est tout autre. L'argent bon marché aura permis à l'économie de reprendre des couleurs, et d'essuyer en bonne partie les pertes provoquées par la crise de 2007. Mais n'a pas permis de préparer l'avenir.
Plutôt que de parier sur la relance et utiliser ces liquidités toutes fraîches au travail dans des investissements, les entreprises ont préféré refaire leur trésorerie, se refinancer et racheter des actions, payer des dividendes ... Seuls 3% de l'expansion de capital de ces entreprises ont été mis à profit dans l'investissement. Qu'espérer lorsque les taux vont remonter, et les politiques monétaires se durcirent, si le business n'a pas profité de cette occasion unique pour construire demain ? Le cercle vertueux de la relance keynésienne a été rompu, au profit des investisseurs et des retours à court terme. Notons cependant qu'il aurait été presque impossible pour la banque centrale d'agir autrement de manière unilatérale, ou d'obtenir un mandat politique pour agir autrement qu'elle ne l'a fait, surtout compte tenu des difficultés qu'elle a déjà essuyé en l'état. C'est une fois encore du côté des états membres, des gouvernements nationaux, que le volontarisme économique et politique a fait défaut.
L'évolution est bien trop lente car le secteur privé est désordonné. Alors qu'en France, le CICE a pendant de nombreuses années cherché à relancer l'économie par l'offre sans que cela suffise à relancer l'emploi, alors qu'au niveau européen les entreprises et les banques n'ont pas consacré l'afflux d'argent du quantitative easing de la BCE à l'investissement, renforçant les inégalités et bloquant des fonds publics qui auraient dû " ruisseler ", il faut réorienter et conditionner ces "aides publiques" pour enfin conduire les entreprises à investir pour autant d'opportunités de création de valeur et d'emploi.