B² comme – Blade Runner 2049

Par Le7cafe @le7cafe

Tous les meilleurs souvenirs sont les siens.

Bonjour Billy et bienvenue au 7ème Café ! Il est l’heure de notre troisième critique alphabétique, ou plutôt la deuxième bis. En effet aujourd’hui on parle, comme promis, de Blade Runner 2049, la suite de Blade Runner réalisée par Denis Villeneuve et sortie l’an dernier. J’ai déjà pas mal parlé du film dans mes deux articles sur les Oscars, mais je vais essayer de ne pas me répéter et surtout de te faire (re)découvrir ce fabuleux film de science-fiction. Si tu n’as pas vu le premier film ni lu B comme – Blade Runner, tu sais quoi faire de ton dimanche avant de lire cette critique Billy !

Il n’est pas facile de faire une suite à un film culte, surtout 30 ans après, même quand on garde le même réalisateur aux commandes (n’est ce pas M. Scott ?). Malgré tout, Denis Villeneuve réussit avec 2049 un sacré tour de force qui n’était clairement pas joué d’avance. C’est parti pour B² comme – Blade Runner 2049.

Une avalanche de couleurs dès l’affiche !

BLADE RUNNER 2049

Réalisateur : Denis Villeneuve

Acteurs principaux : Ryan Gosling, Ana de Armas

Date de sortie : 4 octobre 2017 (France)

Pays : États-Unis

Budget : Entre 150 et 185 millions $

Box-office : 259,2 millions $

Durée : 2h43

Hello darkness my old friend…

DÉJÀ 30 ANS

Blade Runner est sorti en 1982, et se passait en 2019. Blade Runner 2049 est sorti en 2017 et se passe en 2049, comme son titre l’indique. Il y a donc eu 35 ans entre la réalisation des deux films, et 30 ans se sont écoulés dans leur univers. C’est pas rien. En 30 ans il peut se passe énormément de choses ; la preuve : en 1988, Star Wars était une trilogie, Windows se lançait à peine, l’URSS et le mur de Berlin étaient encore en place, il n’y avait pas de tunnel sous la Manche, et caetera, et caetera. 30 ans, c’est largement suffisant pour changer le monde entier, dans la vraie vie comme dans les films. Et c’est pour cette raison même que Denis Villeneuve a participé à la réalisation de trois court-métrages qui relatent les trente années séparant Blade Runner et 2049, et qu’il les présente avec un magnifique accent anglais. Tu vas voir ! Petit tour de la frise chronologique.

En 2019 à Los Angeles, le Blade Runner Rick Deckard (Harrison Ford) a été chargé de pourchasser et neutraliser plusieurs androïdes nommées Réplicants. Au cours de sa mission, il a effectivement neutralisé toutes ses cibles, mais est tombé amoureux d’une Réplicante de nouvelle génération nommée Rachael (Sean Young). À la fin du premier film, ils s’enfuient tous les deux, présumément poursuivis par le collègue de Deckard, Eduardo Gaff (Edward James Olmos), et disparaissent sans que l’on entende plus jamais parler d’eux. Voilà où l’histoire nous avait laissés. Mais qu’est ce qu’il se passe ensuite ?

Black Out 2022 est le premier des court-métrages servant de prologue à 2049, et il présente la particularité d’être sous la forme d’un anime réalisé par Shinichiro Watanabe, à l’origine notamment de Cowboy Bebop. On y apprend beaucoup de choses sur les conséquences directes de Blade Runner. Tout d’abord en ce qui concerne les Réplicants : en 2019, la Tyrell Corporation produisait le modèle Nexus-6. Après la courte mais intense rébellion de Roy Batty (Rutger Hauer) dans le premier film, qui a notamment mené à la mort de plusieurs personnes importantes de la Corporation y compris son président et fondateur Eldon Tyrell, la production de Nexus-6 a été discontinuée. Quelques temps après, la Tyrell Corporation a lancé le nouveau modèle Nexus-8 (8 et pas 7 puisque Rachael (Sean Young) était l’unique Nexus-7 en existence et son secret est mort avec Tyrell) qui présente deux différences fondamentales : il n’a pas de limite d’âge, contrairement aux Nexus-6 qui mourraient au bout de 4 ans, et ils sont directement créés avec une fonction particulière, pour tenter d’éviter le libre arbitre dont faisaient preuve les rebelles du premier film. Seulement leur ressemblance aux humains et leur cohabitation avec eux a lancé un immense mouvement de racisme anti-Réplicant sur Terre. Les Hommes se servaient des fichiers numériques de la Tyrell Corporation pour identifier les Réplicants et les passer à tabac. En 2022, pour mettre fin à cette chasse au Réplicant organisée, Trixie et Iggy, deux Nexus-8, et d’autres, vont lancer une vaste opération militaire visant à causer un énorme black-out dans Los Angeles et détruire par là-même tous les fichiers de la Tyrell. Le court-métrage reprend beaucoup d’éléments du premier film et nous replonge directement dans l’univers avec un évènement qui va avoir de nombreuses conséquences en 2049. Tu verras.

On avance directement 14 ans dans le futur avec 2036 : Nexus Dawn, réalisé cette fois par Luke Scott. À la suite du black-out de 2022, toute la production de nouveaux Réplicants a été formellement interdite. En 2036, face à un bureau de magistrature dirigé par Benedict Wong (qui décidément adore les rôles de figuration, après Moon ou Annihiliation), on découvre le mystérieux et inquiétant Niander Wallace (Jared Leto), un entrepreneur multi-milliardaire qui a racheté les restes de la Tyrell Corporation. Plus remarquable encore que le charisme malaisant de Wallace avec son apparence soignée, ses pupilles blanches d’aveugle et son phrasé inimitable, plus remarquable aussi que la performance de Leto, est le nouveau modèle de Réplicant Nexus-9 créé par Wallace, malgré l’interdiction. Un nouveau modèle parfait, un « ange » selon les propres termes de Wallace : à durée de vie programmable à volonté, et totalement obéissant. Quand Wallace demande à son Nexus-9 de choisir entre sa propre vie et celle de son créateur, le Réplicant se suicide sans hésiter ni broncher. L’aube des nouveaux Nexus a commencé.

Et on se retrouve enfin juste avant les évènements du film dont nous parlons aujourd’hui, avec 2048 : Nowhere To Run. On suit le Nexus-8 Sapper Morton, joué par Dave Bautista, qui tente de vivre sa vie normalement. Il a des amis, lis des livres, et fabrique des animaux synthétiques (puisque les vrais animaux n’existent quasiment plus). Malheureusement, les évènements vont l’obliger à se dévoiler quand une jeune fille de ses amis se fait agresser dans la rue. Hors de lui, Sapper va violemment repousser et tuer les assaillants, devant la foule, laissant par mégarde tomber un papier permettant de l’identifier derrière lui en partant. Ce papier va être récupéré par un homme, qui va s’empresser de le dénoncer à la police. Et c’est précisément sur l’arrestation de Sapper que commence le film…

Et ce n’est que le début !

SUITE SPIRITUELLE

Blade Runner 2049 n’est donc pas la suite directe de son prédécesseur, premièrement parce qu’il se passe 30 ans après, deuxièmement parce que je n’ai toujours pas parlé jusqu’ici de ce qu’il advenait de Deckard et Rachael. Et ça n’importe pas vraiment, en réalité, malgré la présence prépondérante de Harrison Ford dans les bandes-annonces. Ce qu’il faut retenir de Blade Runner, ce n’est pas Deckard, ou Rachael, ou Batty en temps que personnages. Non, ce qui est important, Billy, c’est toute la réflexion philosophique qu’ils portent et le questionnement irrésoluble de savoir ce qui fait, ou non, notre humanité. En ce sens, Deckard et Rachael ne vont donc pas servir de protagonistes à 2049, mais plutôt de fil rouge. On est alors face à une suite spirituelle qui poursuit indirectement l’œuvre originale.

Mais c’est quoi, dans les faits, une suite spirituelle ? C’est quand on reprend les éléments constitutifs de l’œuvre originale sans en poursuivre l’intrigue, mais en se fondant quand même sur ce qu’il se passait avant. Par exemple, la nouvelle trilogie Star Wars tient plus de la suite spirituelle que de la suite directe, puisque même si l’on retrouve Luke, Han et Leia, ce n’est pas leur histoire. Ainsi on retrouve dans 2049 tout l’univers de Blade Runner, avec Los Angeles et sa pollution, les Réplicants, les animaux synthétiques, les spinners, le test de Voight-Kampff nouvelle version, mais aussi des références à Gaff, Deckard et Rachael sans pour autant se focaliser sur eux. En effet, on suit un nouveau personnage, K (Ryan Gosling), qui est un Nexus-9 Blade Runner chargé de traquer les derniers Nexus-8 en fonction.

Pourquoi c’est mieux ? Tout simplement parce qu’une suite directe au premier film, ça aurait été nul. Voir Harrison Ford jouer les héros en cavale à 75 ans, on a vu ce que ça donnait dans Indiana Jones 4. Il n’y aurait eu aucun intérêt à raconter directement la suite des aventures de Deckard. La grandeur de 2049 réside justement dans cette mise de côté de la première histoire. On suit une toute nouvelle histoire avec de nouveaux personnages dans le même monde, et les anciens ne viennent se placer en parallèle qu’à postériori.

Tout commence donc avec l’officier K, envoyé en mission dans une petite ferme en périphérie de Los Angeles, pour neutraliser le Nexus-8 Sapper Morton du troisième court-métrage. Une fois sur place, il va découvrir que la ferme renferme bien des secrets et une découverte inattendue va le lancer dans une enquête qui le mènera aux quatre coins de la ville, et même jusqu’à Las Vegas et l’ancien Blade Runner Rick Deckard (Harrsion Ford), accompagné de son inséparable compagne holographique Joi (Ana de Armas)…

Sensuelle et grave en même temps.

LA RECETTE DE L’ÉCHEC, DEUXIÈME PARTIE

Je n’en dis pas plus pour le moment. Comme toute bonne enquête, celle de K regorge de retournements de situation et de progressions imprévisibles, et il serait dommage de gâcher l’histoire en en dévoilant les twists. Rien n’est laissé au hasard dans 2049, chaque élément est justifié et cohérent, jusque dans les moindres détails, et ce à tous les niveaux.

Le film est donc une suite spirituelle réussie, on replonge avec délectation et émerveillement dans cet univers sombre et futuriste, avec des visuels et des effets à couper le souffle et une histoire fantastique. Pourtant, un des éléments que 2049 se serait bien gardé de conserver de son prédécesseur, c’est son échec.

Souviens-toi Billy. Dans ma dernière critique alphabétique, j’expliquais que la première version cinéma de Blade Runner était à la fois un échec cinématographique (à cause des changements faits par les producteurs), un échec critique en conséquence de cela, et un énorme échec commercial avec 34 millions de dollars au box-office contre un budget de 28 millions hors marketing. Blade Runner 2049 est l’exact opposé de l’échec cinématographique, la critique l’encense de tous côtés, et pourtant. 260 millions de dollars au box-office contre plus de 150 millions de budget initial, qui monterait selon les estimations à 400 millions en incluant le marketing. Ouch.

Alors comment expliquer qu’un film qu’on peut qualifier d’excellent fasse un tel flop du côté commercial ? 2049 ne souffre pourtant pas des problèmes qui sont venus gangréner son prédécesseur à l’origine, avant d’être remodifié par Ridley Scott ! Alors quoi ? Serait-ce encore un problème de timing ? C’est une des possibilités. Dans les faits, la sortie début octobre aurait dû être favorable à 2049 puisqu’elle éloignait le film de toutes les grosses productions de l’été. Sauf que une semaine avant aux États-Unis ou une semaine plus tard en France, on avait Kingsman : Le Cercle d’Or, et 20 jours après, Thor : Ragnarok. Le fait que ces deux films ont récolté plus d’un milliard de dollars parle de lui-même. Si on donne à choisir entre les films, même si moi personnellement j’aurais toujours voté 2049, la plupart des gens se serait dirigée vers la production Marvel et le film d’espionnage.

Ce qui m’amène au deuxième problème du film : le public visé. Qui sera intéressé de voir Blade Runner 2049 ? Les fans du premier film. Car même si l’on est sur une suite spirituelle qui raconte une nouvelle histoire, si l’on a pas vu et aimé Blade Runner, alors 2049 n’a aucun intérêt. Et c’est bien là le problème ! Blade Runner a beau être un film culte, c’est loin d’être un film grand public. Et ce n’est pas le genre de film qui repasse tous les ans à la télé, ou qui se regarde vautré à moitié endormi dans son canapé. Comme je l’ai déjà dit la dernière fois, pour vraiment l’apprécier, il faut rentrer dedans. Et pour cette raison-même, le public visé s’en retrouve encore diminué, notamment au niveau de la tranche d’âge. Le public le plus friand de cinéma, c’est les adolescents, et les résultats des Marvel et autres Star Wars le prouvent. Mais Blade Runner, c’est pas le genre de film que tu vas voir entre potes pour te divertir ou te marrer. Moi-même je ne l’ai vu qu’à 17 ans, en étant cinéphile, alors comment veux-tu que le public lambda s’intéresse à ça ? 2049 s’est donc retrouvé bien malgré lui à être un film de niche. Et c’est pas fini, comme disait la pub SFR !

2h43, c’est long. C’est très long. Enfin, c’est très long de façon purement pragmatique, car en réalité grâce au sens du rythme inégalé de Denis Villeneuve, le film s’enchaîne parfaitement et on ne s’ennuie jamais, contrairement au premier Blade Runner où clairement il y avait quelques scènes où on se faisait chier. Toujours est-il qu’un film de 2h43, ça fait une séance de cinéma de trois heures, et c’est long. Aller voir 2049 au cinéma, ça implique « perdre » sa matinée ou son après-midi, et même si on préfère les séances de soirée alors ça implique de finir tard. Il y a donc un certain investissement à regarder le film, et une longue durée peut facilement repousser des spectateurs. Ce n’est pas pour rien que les versions longues du Seigneur des Anneaux ne sont pas celles qui étaient de base au cinéma ! D’autant plus que ça constitue une contrainte autant pour le spectateur que pour l’exploitant. Car en effet, plus le film est long, moins le cinéma peut caser de séances par jour, c’est logique ! Moins de séances entraîne moins de spectateurs. Moins de spectateurs entraîne moins d’argent. Moins d’argent entraîne l’échec commercial. CQFD. Et c’est bien dommage, car ils ne savent pas ce qu’ils ratent !

Ça va Niander, t’as pas de problèmes d’argent toi ?

ELLE A UN OSCAR, IL A UN OSCAR, TOUT LE MONDE A UN OSCAR !

Cinq nominations aux Oscars. Deux victoires. Voilà ce qu’a remporté Blade Runner 2049 le 4 mars dernier. Et pour moi, il les aurait tous mérités !

« Les bonnes suites de films sont rares, et Blade Runner 2049 en fait partie tout en haut du podium. C’est une pure merveille. Visuellement. Narrativement. Scénaristiquement. Musicalement. Totalement. Il va encore plus loin que le premier, il est plus beau, plus profond, plus complet… Il fait réfléchir et il est bourré d’émotions. C’est ça qui fait un Meilleur Film. »

Suis-je subjectif ? Évidemment. Mais si tu lis mes critiques Billy, c’est bien pour avoir mon avis, non ? Si je devais résumer 2049 en trois mots, ce serait subtilité, justesse et poésie. Tout dans le film peut être ramené à ces concepts. On n’est jamais dans la démonstration, toujours dans la contemplation. On ne nous balance pas l’histoire à la figure, tout est toujours amené avec subtilité et cohérence. Et surtout toute référence au premier film est intéressante, justifiée, et jamais montrée du doigt de façon criarde comme dans Jurassic World par exemple, en mode « OH REGARDE LE TREX ! OH REGARDE LES RAPTORS ! OH REGARDE LE PARC DU PREMIER FILM ! ». Subtilité. Justesse. Poésie. Et si tu ne me crois pas Billy, je vais te le prouver en prenant un à un tous les Oscars auxquels 2049 aurait été éligible.

Au niveau des maquillages, coiffures et costumes, le travail fait est impressionnant. On a des imitations d’Elvis Presley, Marilyn Monroe, ou encore Frank Sinatra, Dave Bautista a été exceptionnellement bien vieilli pour son rôle de Sapper Morton – il avait même failli ne pas avoir le rôle car il était trop jeune ! On notera aussi toutes les apparences différentes de l’hologramme Joi, avec ses perruques et ses tenues variées. Et justement, ce qui se remarque le plus, c’est le style vestimentaire de 2049 : on est toujours à mi-chemin entre de la seconde main, de la récupération, du délavé, et de la haute-couture. Cela va de paire avec l’univers sale et magnifique du film. Je pense par exemple à la veste fourrée de K, au casque de Sapper, ou à la veste en plastique jaune translucide de Joi.

Une pièce unique !

Au niveau de tout ce qui est son, montage sonore et bande originale, il n’y a rien à redire. L’ambiance du film passe aussi par le sens auditif, et on est toujours en immersion totale. Chaque son, le plus infime soit-il, est recréé et intégré aux scènes avec une justesse extraordinaire ; la preuve en est que Meilleur Montage Sonore et Meilleur Son sont deux des cinq Oscars pour lesquels 2049 a été nommé. Et que dire de la musique ! Hans Zimmer reprend Vangelis, qu’est ce qui pourrait ne pas fonctionner ? Là où certaines pièces musicales du premier film étaient très intrusives voire agressives avec les crescendos de synthétiseur et les cuivres puissants, Zimmer revisite tout en douceur et légèreté. Poésie. Subtilité. Justesse. La musique vient toujours compléter le visuel pour une explosion de sensations, et je l’ai déjà mentionné dans mes pronostics des Oscars mais le morceau « Tears In The Rain » est une magnifique reprise du « Tears in Rain » original, et il est représentatif de tout le film.

Et les décors ! La direction artistique de 2049 est une pure merveille. Chaque environnement est clairement défini et construit, les détails fourmillent à foison… Los Angeles et sa pollution noirâtre, Las Vegas et sa démesure désertique, les laboratoires de Stelline dans la pureté blanche de la neige… Pour un film tel que Blade Runner, il faut construire l’univers. Et là, c’est de l’architecture de haut niveau, également nommée aux Oscars.

Mais regarde moi ce décor Billy ! La lumière ! Les reflets ! La géométrie !

Les décors et les scènes réelles sont complétés à la perfection par les effets visuels de l’équipe du film. Eux, ils le méritaient leur Oscar ! On ne sait jamais où s’arrête le réel et où commence le numérique dans 2049 tellement tout est précis et détaillé. Décors complétés par écrans verts, plans panoramiques virtuels… Sans compter les scènes impliquant Joi ou d’autres hologrammes, comme le casino de Las Vegas avec Elvis et les autres apparaissant par intermittences ! Et cette scène absolument fantastique de sexe où Joi se superpose à la prostituée Mariette, ou le laboratoire d’Ana Stelline avec une forêt entièrement artificielle ! Et aussi, et surtout, la recréation numérique du personnage de Rachael du premier film à l’exact identique ! Cette technique de résurrection numérique est très utilisée de nos jours, pour rajeunir des acteurs par exemple (Michael Douglas dans Ant-Man, Kurt Russell dans Les Gardiens de la Galaxie vol. 2) ou en ressusciter des disparus (Peter Cushing dans Rogue One) mais ça a toujours l’air faux. Et bah pas là. J’en ai littéralement perdu mes mots pendant la scène concernée. Les effets de 2049 sont révolutionnaires et sans failles.

La totalité de ce plan est numérique. Même pas de maquette. Ose me dire que ça a pas l’air vrai.

Mais 2049 ne serait rien non plus sans un scénario passionnant et intelligent par Michael Green et Hampton Fancher, mis en valeur par le montage subtil de Joe Walker. Faire un film de presque trois heures sans que ça paraisse long et chiant, c’est dur, et pourtant ! Il se passe toujours quelque chose, l’histoire avance à un rythme de croisière ininterrompu, tous les éléments sont amenés et utilisés efficacement. Il n’y a pas de coïncidences dans 2049, toute action amène une réaction, et tout effet a une cause. Pourquoi K va chez Sapper ? À cause de 2048 : Nowhere To Run. Pourquoi Los Angeles est encore plus noir qu’avant et on ne peut plus pister les Réplicants ? À cause du black-out de 2022. Pourquoi Ana a un léger accent étranger ? Parce qu’elle a été élevée par Freysa. Tout a une justification cohérente, jusque dans les plus infimes subtilités.

Quand tu cherches des points négatifs à 2049 et que tu n’en trouves pas.

Ce gif de Ryan Gosling me permet justement de passer aux performances des acteurs. En termes de subtilité et de justesse, on ne trouvera pas mieux. Tout est parfait, des personnages principaux aux plus petits figurants. Ryan Gosling, Harrison Ford, Ana de Armas, Robin Wright, Sylvia Hoeks… Il y a Mackenzie Davis aussi, la prostituée Mariette, aux antipodes de son rôle dans Black Mirror et pourtant toujours aussi époustouflante ! Jared Leto, dans un de ses meilleurs rôles – même si Niander Wallace aurait dû être joué par David Bowie s’il n’était pas mort, ce qui en aurait fait un personnage encore plus légendaire. Et Dave Bautista, mon Dieu, Dave Bautista ! Il aurait vraiment mérité une nomination à l’Oscar du Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour Sapper Morton. Un catcheur, une montagne de muscle, qui nous avait habitués à l’extravagant Drax dans Les Gardiens de la Galaxie ou l’homme de main bien bourrin dans Spectre, qui joue un Réplicant vieillissant avec une subtilité émotionnelle incroyable, et poétique, voire tragique – et ce, même quand il balance K à travers un mur. J’en suis bluffé.

Donnez un Oscar à cet homme !

Et au dessus de tout ça, il y a Denis Villeneuve. Le génie. Le réalisateur au Panthéon du 7ème Art. Il faut une vision inimaginable pour retranscrire avec autant de justesse une histoire et un univers d’une telle complexité. Il faut un esprit incroyable pour prendre en main et gérer avec un tel tact une réflexion philosophique de premier ordre comme celle de 2049. Alors certes, il parle peut-être extrêmement mal anglais, mais Villeneuve est sans aucun doute un des plus grands réalisateurs que cette planète ait porté et si mes éventuelles nominations pour tous les autres Oscars sont hyperboliques et subjectives, pas celle là. Villeneuve mérite l’Oscar du Meilleur Réalisateur, et de très loin, et c’est une immense injustice qu’il n’ait même pas été nommé. Personne n’aurait pu réaliser 2049 comme il l’a fait. Personne. S’il ne remporte pas un Oscar dans les 10 ans à venir, je mets Hollywood à feu et à sang. Si le cinéma est un Art, c’est grâce à des gens comme lui.

Je t’aime, Denis !

L’APOGÉE DE DEAKINS

Mais il y a un homme, un seul, qui méritait encore plus son Oscar que Villeneuve. Retiens bien son nom Billy : Roger A. Deakins. Oscar de la Meilleure Cinématographie. 14 nominations pour en arriver là. 14 !

La cinématographie de 2049 est une tuerie. De la poésie visuelle. Les couleurs, la composition, la lumière, juste wow. Quand on voit ce film, on peut vraiment parler de 7ème Art. La scène de sexe avec les hologrammes. Les plans larges de chacun des lieux. La scène de création des souvenirs chez Ana Stelline. Et cette ahurissante scène finale dans l’eau éclairée uniquement par les phares de la voiture ! Je n’ai même pas de mots pour décrire la cinématographie de ce film. Chacune des environ 235 000 images qui le composent est magnifique. Chacune, sans exception. En toute honnêteté, je pense que Blade Runner 2049 est le film le plus beau que j’ai vu de ma vie.

ENQUÊTE DE SENS

Mais 2049 n’est pas que du baume aux yeux. Pas une cage dorée qui ne renferme rien. Tout est mis au service de la continuation des grandes interrogations du premier film : qu’est ce qui fait de nous des humains ?

Dans Blade Runner, on avait les quatre Réplicants Nexus-6 menés par Roy Batty qui étaient en quête de vie, puisque je rappelle que les Nexus-6 avaient une obsolescence programmée de 4 ans après quoi ils étaient désactivés. Tout dans le premier film tournait autour de ça : la vie. Et de nombreuses choses différenciaient encore Homme et Réplicants : la durée de vie limitée, l’absence de mémoire d’origine, le scintillement dans les yeux… Donc effectivement, la séparation avait une certaine légitimité, même si le questionnement philosophique était justifié. Le fait est qu’avec les nouveaux modèles de Blade Runner 2049, le problème est tout autre, puisque les Nexus-8 (comme Sapper) et les Nexus-9 (comme K) n’ont plus de durée de vie limitée, plus de scintillement dans les yeux ou alors très difficilement décelable, et ils ont des souvenirs implémentés pour garantir une stabilité émotionnelle. Donc dis moi Billy, pourquoi nous vivrions, et pas eux ?

La question est entière puisque plus les Nexus progressent, moins leur différence à l’Homme est marquée. Alors certes, les Nexus-6 de Blade Runner ne vivaient pas vraiment, mais avec le destin de Batty, il est indéniable que leur disparition était véritablement une mort. Alors quoi ? Quelles conclusions peut-on tirer ?

Un élément fondamental à noter dans 2049 est le racisme omniprésent envers les Réplicants. Les humains les appellent « skinjob » ou « skinners » en VO, des termes péjoratifs pas vraiment traduisibles en français, une tradition discriminatoire qui remonte à la mise en service des premiers Nexus-8 avant le blackout de 2022 (souviens toi du premier court-métrage Billy). C’est pour ça que les Nexus-8 sont traqués. Uniquement par racisme. Un racisme qui pousse justement les Réplicants eux-mêmes à se dévaloriser, et je fais notamment référence ici à une réplique poignante de K :

« To be born is to have a soul, I guess. »

Naître, c’est avoir une âme. Or, sans vouloir rentrer dans le dialogue religieux, il me semble que Batty a fait preuve d’une certaine âme dans le premier film, et surtout avec son fameux monologue. D’autant plus que cette réplique va impliquer encore plus d’interrogations, puisqu’elle fait référence à un enfant né de Réplicant. Or, le lieutenant de police Joshi, qui est humaine, veut la mort de cet enfant, tandis que K, qui est synthétique, hésite à le tuer pour cette même raison de l’âme. Alors les humains seraient-ils plus cruels que les Réplicants ? C’est la question du premier film qui revient. L’enquête policière de K va donc prendre un sens particulier pour lui. C’est plus qu’une enquête ; il part en quête de sens. K va chercher ce qui fait sa vie, tout comme l’hologramme Joi d’ailleurs. Mais j’y reviendrai.

Je vais spoiler à partir de maintenant Billy, si tu n’as pas déjà quitté cette critique, fuis vite pour aller voir le film !

Dans Blade Runner, la vie était représentée principalement par les yeux. Souviens toi, je disais « La vie est toujours dans les yeux » en référence à Quelques Minutes Après Minuit. Après tout, on dit aussi que les yeux sont le miroir de l’âme. Cette thématique est continuée dans 2049, avec le numéro de série des Réplicants inscrit en bas de leur œil droit, mais c’est beaucoup plus rare, et ce parce que 2049 va se pencher sur un tout autre aspect de la vie : la sexualité et la procréation. Effectivement, si on voudrait un critère restant pour séparer Hommes et Réplicants, ça reste bien ça. Sauf que… c’est là qu’entrent en jeu Rachael et Deckard.

Il est révélé très tôt dans le film que Rachael est morte en couche en 2021. En couche. Rachael, une Réplicante, a eu un enfant. Et c’est bien là tout le problème philosophique de 2049. On savait que Rachael est l’unique modèle Nexus-7 au monde, créée personnellement par Tyrell. Il est donc tout à fait possible qu’elle porte un appareil reproducteur en état de marche. Mais son enfant va cristalliser toutes les tensions, pour plusieurs raisons. Du côté de la police, le lieutenant Joshi va demander à K de l’éliminer parce qu’un enfant né de Réplicant détruit complétement la dernière barrière de séparation entre les Hommes et eux. Du côté de Wallace, qui fabrique les Réplicants, il va demander à son assistante Luv de retrouver l’enfant pour comprendre comment la procréation est possible. Car qui dit procréation, dit lignée infinie de Réplicants. Wallace ne peut que créer un nombre limité de Réplicants en laboratoire, il le dit lui-même, alors s’ils se reproduisaient ce serait la garantie d’une prospérité éternelle. Et au milieu de tout ça, il y a K, qui va peu à peu se mettre à croire qu’il est l’enfant-prodige, avant de découvrir à son grand désarroi que c’était en réalité Ana Stelline. Mais tout ça pour quoi, au final ? Qu’est ce que ça apporte philosophiquement parlant ?

Il y a une phrase qui revient plusieurs fois dans le film et dans le premier court-métrage.

« Plus humains que les humains. »

Les Réplicants sont doués d’émotions, de pensées, et maintenant même de sexualité et de procréation. Alors dis moi une bonne fois pour toute Billy, qu’est ce qui les différencie de nous ? Ou plutôt, qu’est ce qui nous différencie de nous ? La quête de sens de K, c’est celle de Batty, et c’est la nôtre aussi.

Ça va aller, K, ça va aller.

LE CHOSE LA PLUS HUMAINE

Et au fait, Deckard c’est un Réplicant ou pas ? La question est posée à plusieurs reprises dans le film, notamment de façon directe par Wallace, mais aussi indirectement par K en parlant du chien du vieux Blade Runner.

« K – Is it real ?

DECKARD – I don’t know. »

Différents éléments peuvent appuyer les deux thèses. Deckard peut très bien être un Réplicant, et si c’est le cas c’est un Nexus-7 : pas de durée de vie limitée, procréation possible, difficile à identifier, pas possible de le retrouver dans les fichiers à cause du black-out. Mais si c’était un Réplicant, il devrait aussi pouvoir obéir et ne pas mentir. De plus, Wallace envisage la possibilité que Deckard ait été créé spécifiquement dans le but de tomber amoureux de Rachael et de faire un enfant avec elle. Sauf que dans ce cas, la scène avec le clone de Rachael pose problème. Dans cette scène, Wallace présente un clone de Rachael à Deckard, mais ce dernier déclare qu’elle avait les yeux verts contrairement au clone qui a les yeux marrons, ce qui pousse Luv à tuer le clone. Sauf que. Dans le premier film, Sean Young a vraiment les yeux marrons. Mais sur le test de Voight-Kampff, l’œil est vert. Donc soit Deckard est un menteur, auquel cas ça ne peut pas être un Réplicant, soit c’est vrai mais on ne peut pas en être sûr. Et c’est bien là l’idée de Blade Runner : poser les questions, mais ne pas donner de réponses. Ridley Scott et Luv pensent que c’est un Réplicant. Harrison Ford pense que c’est un humain. K et Wallace se posent la question. Villeneuve connaît la réponse définitive mais ne la donnera jamais. Et le mieux dans tout ça, Billy, c’est qu’on s’en fout.

On s’en fout parce que ce n’est pas de ça que parle 2049. Ce n’est pas à propos de l’enfant de Réplicant. Ce n’est pas non plus à propos de la révolution de Freysa. Et c’est pour ça que le film se finit sans réelle fin par rapport à ces trames secondaires. Parce qu’on s’en fout. Parce que 2049, ce n’est que la quête de sens de K, et par parallèle la nôtre.

« FREYSA – Mourir pour la bonne cause est la chose la plus humaine que l’on puisse faire. »

Garde bien cette citation en tête, on arrive à la fin.

Il y a une antagonisation majeure entre K et Luv dans 2049. K est le protagoniste, il a des émotions, il nous est sympathique, et c’est normal puisque c’est nous. Luv est une espèce de pétasse qui pète plus haut que son cul, esclave de Wallace quand il est présent, pseudo-présidente de la Corporation quand il n’est pas là. Quand K la rencontre, il déclare :

« Il vous a nommée. Vous devez être spéciale. »

En effet un nom donne une caractérisation importante. Un nom, c’est un élément primordial de personnalité. Et pourtant, Luv n’en a aucune. Elle n’est rien, contrairement à K qui n’a pas de nom. Mieux encore, même quand l’hologramme Joi décide de nommer K, elle choisit « Joe ». Le prénom le plus commun qui puisse exister (désolé à tous les Joe qui me lisent). Joe, c’est l’abréviation de John Doe, qui est l’équivalent anglophone de « Monsieur Tout-le-monde ». Et pourquoi Joe ? Parce qu’encore une fois, K est notre avatar au sein de l’univers de Blade Runner. K c’est toi Billy, c’est moi aussi, et c’est n’importe lequel des spectateurs du film. Nous sommes tous en quête du sens de notre vie. C’est bien pour ça que les réflexions philosophiques résonnent autant. Elles s’appliquent à nous. Et c’est pour ça qu’on se fout de Deckard, de l’enfant et de la révolution. ce sont d’autres causes.

Mourir pour la bonne cause. Qu’est ce que la bonne cause ? K ne suit ni son travail qui lui ordonne de tuer l’enfant, ni Wallace qui veut le ramener, ni Freysa qui veut tuer Deckard pour protéger le secret. K est libre. C’est un Réplicant, mais il est libre. C’est ça qui le différencie de tous les personnages du film. Tous sans exception. La seule bonne cause qui lui vaille la peine de mourir, c’est celle qui donne enfin un sens à sa vie. Et c’est la chose la plus humaine qu’il puisse faire.

Poésie. Subtilité. Justesse.

LE MOT DE LA FIN

Ai-je vraiment besoin de rajouter quoi que ce soit Billy ? Blade Runner 2049 est un chef-d’œuvre. Un vrai.

Note : 10 / 10

« K – All the best memories are hers. »

All those moments will be lost, like tears in snow…

— Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à Warner Bros., et c’est très bien comme ça.