Article repris par Medium4You.
La bascule mondiale est en train de se mettre en place entre pays développés et pays émergents. L’exemple le plus récent est la libération de 15 otages des FARC, dont Ingrid Bétancourt, sans l’intervention des grandes puissances : l’armée colombienne s’est débrouillée seule - et fort bien si l’on s’en tient aux premières informations. Dans un monde qui commence à se battre pour les ressources, et chacun pour son emploi dans chaque pays, il y a un peu moins d’injustice pour ces 15 là, un peu plus de droit et d’organisation collective sur l’anarchie des partis, communautés et guerillas.
En ce qui concerne l’économie mondiale :
- Il n’y a pas assez de pétrole pour la forte demande qui vient surtout des émergents, ce qui tire le prix du baril vers le haut et alimente l’inflation mondiale.
- Il n’y a pas assez de recyclage des pétrodollars vers l’Amérique pour cause de politique internationale inepte et d’image gravement dégradée, ce qui fait chuter le dollar et alimente l’inflation de la zone dollar.
- Il n’y a pas assez d’envie de prêter, ni assez d’envie d’investir dans les pays vieux, pour cause d’avidité incontrôlée des subprimes, hedge funds, produits turbos et autres montages financiers à levier. Ils ont diffusé le risque partout et rendus les actifs réels sans prix de marché. Ils ont donc fait chuter la croissance, donc l’emploi, donc la consommation et augmenter l’épargne liquide.
Dès lors, à cause de la brutale poussée des prix du pétrole et de la prise de conscience qu’un prix élevé sera durable (spéculation ou pas, attaque israélienne contre l’Iran ou pas), c’est tout le modèle économique des pays développés qui se trouve dévalorisé. Avec lui, le volontarisme industriel lourd de la Chine. Nous avons alors une inflation mondiale que personne ne contrôle – 4% en juin dans la zone euro - et une croissance en baisse, voire négative. Le scénario est celui de la stagflation (stagnation+inflation). Du moins pour les pays développés, la Chine verra sa croissance baisser, mais pas stagner.
Dans cette situation, nous allons constater un moindre investissement au nord (où la croissance faiblit) et un transfert d’investissement vers le sud (où la croissance domestique demeure). La Chine va souffrir, mais moins que l’Amérique ; en Europe et au Japon, la situation sera mauvaise mais décalée et atténuée. En Europe parce que le secteur des services domestiques fournit une large part de la vie économique (surtout en Espagne et en France), au Japon parce que l’Asie chinoise reste dynamique, même si les exportations vers les pays développés ralentissent.
Deux sorties permettent le rééquilibre mondial : une plus forte épargne domestique aux Etats-Unis, pour reconstituer l’investissement et la consommation future ; un rééquilibrage des changes entre le dollar, l’euro et les monnaies asiatiques, actuellement trop sous-évaluées par rapport aux balances commerciales. Ces processus sont en cours mais prendront beaucoup de temps - des années !
En attendant, l’inflation importée aux Etats-Unis et en Europe va forcer les banques centrales à monter les taux ou à laisser filer la monnaie. La chute du dollar – monnaie « puissance » - devient insupportable ; la hausse concomitante de l’euro pose problème. Mais comment faire lorsque la Fed privilégie la relance (donc des taux bas) alors que la BCE a pour statut de contrer l’inflation (donc des taux élevés) ? Sur les quatre moteurs de la puissance américaine, deux sont en drapeau : le dollar et la croissance. Restent la puissance militaire, encore redoutable, et la formidable réactivité de la société, qui peut se sortir rapidement du marasme dès lors qu’elle le décide et qu’on lui montre la voie.
Mais la décision est suspendue aux élections de novembre prochain et la voie est étroite entre soutien au dollar et soutien à l’économie, soutien à l’épargne et relance de la consommation, soutien à une croissance plus durable et mode de vie américain, soutien à l’investissement et mesures pour contrer les escrocs du crédit…
Donc le temps passe, va continuer de passer, et les marchés s’en aperçoivent. Ils ont quitté l’immobilier en récession, puis les crédits non garantis, puis les actions aux perspectives moroses ; ils prennent des risques sur les matières premières et le pétrole, des risques sur les bourses peu liquides et peu assurées des pays émergents. Il nous semble qu’avec les perspectives présentée plus haut, l’année 2009 est celle du danger majeur : pas encore de redressement américain, un freinage qui jouera à plein en Europe compte-tenu du décalage habituel, des fissures en Chine peut-être, où l’inflation exacerbe les tensions sociales – donc les tensions politiques.
Ne resteraient plus qu’une attaque sur l’Iran ou une invasion de Taiwan, ou encore un gros attentat terroriste d’Al-Qaida, pour faire s’envoler le pétrole et précipiter le monde entier dans la récession !
Ce scénario du pire n’est pas le nôtre – mais gardons-le à l’esprit. Si le pire n’est jamais certain, il surprend toujours les marchés. Et, derrière eux, les économies, car les marchés ne sont que l’écho amplifié des prévisions économiques.
En attendant, restons en liquidités garanties, si possible en euro. Si l’on peut à tout moment jouer certaines valeurs pour des raisons qui leurs sont propres, le moment de réallouer de l’actif en actions pour le fondamental n’est pas encore venu. Laissons déjà passer l’été… le mois d’août, où la plupart des grandes gestions sont en veilleuse, accentue toujours l’effet des événements sur les marchés. Rappelons-nous entre autres les attentats de Nairobi, le putsch contre Gorbatchev - et la crise des subprimes.
Alain Sueur, le Blog Boursier