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Souvent décrit comme un évaporé aux mœurs légères, totalement soumis à l'influence de ses mignons, Monsieur serait en plus jaloux et sans aucune conscience politique. C'est un tout autre personnage qui se dévoile dans cette biographie. Elisabetta Lurgo, auteur que je découvre, balaie de nombreux clichés qui collent à la peau du frère unique de Louis XIV.
Le cocon de l'enfance
L'auteur souligne l'importance fondamentale de l'enfance dans les rapports étroits qu'entretiendront Philippe et Louis toute leur vie. Anne d'Autriche, épouse irréfléchie et peu compréhensive avec Louis XIII, vit ses maternités tardives comme une transformation personnelle. De toutes nos souveraines, elle est sans doute la plus aimante et la plus moderne des mères. Régente, elle donne à ses deux fils une éducation très différente de celle que reçoivent les autres rejetons des grandes familles. Très présente dans leur quotidien, elle s'occupe personnellement d'eux.
Ce trio soudé et uni dans une même affection n'a pas d'égal dans les familles princières. Proches de leur mère, les deux frères sont également proches l'un de l'autre. Ils partagent tous leurs jeux, vivent avec un même effroi l'épisode traumatisant de la fronde, se manquent lorsqu'ils ne se voient pas.
Cette proximité et cet amour fraternel puissant, tissent entre Louis et Philippe une relation extrêmement solide. Elisabetta Lurgo relate certaines anecdotes amusantes entre les deux frères, qui montrent bien leur grande intimité.
La confiance de Louis XIV
L'auteur remarque que loin de se distendre au fil des années, la relation du Roi avec Philippe reste toujours aussi forte. Le duc d'Orléans est constamment auprès de son frère, vient manger en sa compagnie, participe à toutes les cérémonies, se retire avec lui très souvent dans l'intimité de ses cabinets.
Incroyable mais vrai : Philippe ne conteste jamais les décisions de son frère et obéit toujours à ce qu'il lui demande. Il n'a pas vraiment de goût pour la chose militaire, même s'il s'acquitte toujours de ses devoirs avec courage. Ce comportement paraît tout à fait inconcevable pour les grandes familles. Dès lors, il ne peut être naturel. Avec justesse, l'auteur souligne le caractère exceptionnel de cette existence dénuée d'ambition parmi les princes de sang, et l'incompréhension qui en découle :
Un frère de Roi rebelle, on le blâme ouvertement, mais, en secret, on le contemple bouche bée ; un frère de Roi soumis et obéissant, on le complimente de vive voix, on le méprise tout bas. Alors, voilà que la sexualité de Philippe, qui, en soit, n'a rien d'exceptionnel, se révèle un chandelier parfait : ce mépris secret, dont personne n'ose avouer la cause, on le déverse sur ses mœurs et sur ses mignons. Dès lors, l'attitude soumise de Monsieur trouve une explication logique : on l'attribue à la " corruption ", dont il aurait été l'objet dès ses plus jeunes années, systématiquement mise en pratique pendant toute la vie de Philippe, par une tacite complicité entre le Roi et ses alliés, notamment le cardinal Mazarin et le chevalier de Lorraine, les boucs émissaires idéals.
Louis XIV aime profondément son frère pour cette docilité, et lui donne ainsi de bon cœur ce qu'il marchande chèrement aux autres : sa confiance pleine et entière. Jamais le Roi Soleil ne doutera de la loyauté de son frère à son égard. Les contemporains ne comprennent pas la subtilité de leur relation et ne voient pas que Philippe, en réalité, s'affaire dans les coulisses.
Gardien de l'Étiquette et correspondant diplomatique
À l'inverse à ce que l'on a tendance à imaginer, Philippe ne s'est jamais senti spolié de ses droits de fils de France par son frère. Au contraire. Nul doute que s'il avait voulu s'immiscer dans le gouvernement, il l'aurait fait.
Elisabetta Lurgo met en parallèle le caractère très différent des deux frères, raison pour laquelle ils s'entendent sans heurt majeur tout au long de leur vie. Contrairement au Roi Soleil, à qui répugne l'apparat et le protocole, Philippe se passionne pour les fêtes, les cérémonies et l'Étiquette. Il devient un rouage essentiel et indispensable de la machine infernale imaginée par son frère. Méticuleux et observateur, il s'applique à faire respecter les préséances et les codes.
Ce prince souvent décrit comme oisif, se satisfaisant d'amour et d'eau fraîche, se révèle un correspondant indispensable dans les affaires de Savoie. Par ses échanges suivis avec Victor-Amédée, et sa fille Anne-Marie, il arbitre les innombrables querelles entre son beau-fils et son frère, temporise la colère de Louis XIV face aux revirements militaires de son allié.
À travers le regard de Philippe, l'auteur nous fait glisser de l'autre côté du miroir. Elle nous plonge dans les intrigues de Cour mais nous révèle aussi la vraie personnalité de Louis XIV. Grâce à ses relations avec son frère, on découvre l'homme derrière le Roi. Un monarque taquin, qui retombe en enfance. Il s'inquiète des moindres indispositions de Philippe et ne peut pas se passer de sa présence.
Une personnalité attachante
Elisabetta Lurgo, avec une grande objectivité, remet les pendules à l'heure. Monsieur n'était pas avec sa première femme le monstre d'égoïsme et de jalousie souvent décrit, ayant précipité sa mort. L'auteur analyse avec une grande finesse les rapports entre les époux, et surtout le comportement de chacun d'entre eux à la Cour : les torts sont largement partagés, et la balance penche même plutôt en faveur de Monsieur. Mission ardue car dans l'imaginaire populaire, c'est Philippe qui a le mauvais rôle :
Monsieur est le mari cruel et infâme, Madame passe pour l'héroïne de tous les romans, et de tous les rêves : fragile, douche, insoumise, innocente.
Autre cliché tenace battu en brèche : l'indifférence de Philippe envers sa famille. Rien de plus faux. Au contraire, le duc d'Orléans est un père aimant, adoré de ses enfants. Les fausses couches de ses deux épouses le laissent abattu, lui qui est si désireux d'avoir une famille nombreuse. Certaines lettres dévoilent un père meurtri de laisser ses filles partir dans les Cours étrangères. Grand-père attendri et d'une spontanéité touchante, il embrasse avec des transports de joie la jeune Marie-Adélaïde de Savoie lorsqu'elle arrive en France pour épouser le petit-fils de Louis XIV.
Rayon de soleil de la Cour, Philippe est aussi adulé des parisiens et entretient la popularité de Louis XIV dans la capitale par sa présence dans les salons et les bals. D'un esprit caustique, il raffole de l'humour incisif de la Montespan, qu'il côtoie avant même sa liaison avec son frère. Il cultive cette amitié après la disgrâce de la marquise. Mécène brillant, il imagine Saint-Cloud comme un palais des merveilles, où Louis XIV prend le plus grand plaisir à séjourner.
Sa mort brutale en 1701 plonge Versailles dans un hiver sans fin. Louis XIV, qui n'entretenait une vie de Cour que pour faire plaisir à son frère, n'en voit plus l'utilité. Sa consolation est la petite-fille de Philippe, devenue duchesse de Bourgogne. La joie de vivre de la jeune fille lui rappelle ce frère universellement regretté... et dont la véritable personnalité tombera progressivement dans l'oubli.
♥ Analyse lumineuse des rapports étroits et complexes entre Philippe et son frère.
♥ Toute l'importance politique et diplomatique du duc d'Orléans restituée.
♥ La découverte d'un homme beaucoup plus humain et censé que la légende veut nous le faire croire : un père aimant, un frère loyal, un époux complaisant.
♥ Une autre facette de la personnalité de Louis XIV : l'homme derrière le masque.
♥ Des recherches fouillées et une grande objectivité dans la restitution des informations.
♠ Malgré des anecdotes fascinantes sur Philippe et les arts, notamment sur Le Bernin, je regrette que l'auteur ne consacre pas plus de pages au rôle de mécène de Philippe.