Froome, à 150 km de l'arrivée...
Dans la première étape, entre Noirmoutier et Fontenay-le-Comte (201 km), en Vendée, victoire au sprint de l’Italien Fernando Gaviria (Quick-Step). Chris Froome, victime d’une chute, perd une cinquantaine de secondes.Fontenay-Le-Comte (Vendée), envoyé spécial. Et dans le regard de Chris Froome? Quelque chose d’inattendu et d’apaisé que ne renverse pas l’adversité – pas encore du moins. Air plutôt calme, en ce matin du samedi 7 juillet, jour de grand départ vécu par une chaleur estivale à peine tiédie par les embruns que balaie le vent d’ouest. Stratégiquement positionné à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (km 50,5), une station balnéaire aux vastes plages vidées de ses habitués, le chronicoeur se mêle au Peuple du Tour pour y percevoir –ou non– l’hostilité supposée envers le quadruple vainqueur en mal de sympathie. Bientôt midi. Trois Français pédalent depuis longtemps en tête de course: Offredo, Cousin et Ledanois. Aucun espoir de victoire pour eux, mais la promesse d’une belle signature inaugurale. Et pourquoi pas une prémonition.
Dans un bar, près du port, deux jeunes dévorent l’écran géant en sirotant des bières. Le premier dit: «Froome? Que lui reproche-t-on, à part qu’il est le leader de la meilleure équipe du monde… donc qu’il reste le mieux préparé du peloton?» Langage énigmatique. Le second ajoute: «Lui, jamais il aurait dû être au départ. On va essayer de ne pas penser à lui, ni de parler de lui… jusqu’à ce qu’il se rappelle à notre bon souvenir.» Quelques centaines de mètres plus loin, dans le crépitement fluide des mécaniques, le peloton traverse la petite ville à vive allure et fend une foule dense. Une femme: «Il est où le tricheur?» Sa voisine applaudit les derniers véhicules: «Je suis contente, je ne l’ai pas vu, l’autre con! S’il l’a ramène de trop, Bardet va lui faire sa fête, cette année…»
Chris Froome sait tout cela. Ce Tour sera pour lui une épreuve. Et plus encore. Quand il a pris le départ à Noirmoutier, à une heure où la marée commençait à engloutir le passage du Gois, le doute marquait tous les suiveurs et noyait les esprits. Tenir 3.351 kilomètres dans une telle ambiance… Qui croire? Il a fallu neuf mois de procédure pour finalement blanchir le Britannique de son contrôle anormal au salbutamol (septembre 2017). Rien ne se dissipe pour autant. Une raison simple à cela: la décision de l'Agence mondiale antidopage et de l'Union cycliste internationale (UCI) était tellement attendue, que sa survenue à quatre jours du départ a résonné comme une provocation. Beaucoup l’avaient déjà condamné à perpétuité. Trop tard pour revenir en arrière. Voilà pourquoi Froome a pris la plume, publiant une tribune dans Le Monde daté du 6 juillet, pour tenter de s’expliquer auprès du public – un geste rarissime pour un champion de haut niveau. Peine perdue?
Il y écrit : « Le plus grand événement cycliste annuel va s’élancer depuis la Vendée. Je suis fier de prendre le départ de ce Tour de France en tant que tenant du titre. Comme tous les coureurs, je vais évidemment me battre autant que je le peux pour remporter de nouveau le maillot jaune. Je dois cependant reconnaître que les préparatifs de cette course n’ont pas été des plus évidents. Que ce soit pour moi, pour les organisateurs de la course et pour vous, tous les fans de cyclisme et Français, bref tous ceux qui représentent le véritable cœur du Tour de France.» Il poursuit ainsi: «Des tests antidopage anormalement élevés en raison d’un traitement de mon asthme lors du dernier Tour d’Espagne ont soulevé de légitimes questions, à commencer par moi. Lundi 2 juillet, la décision de l’Union cycliste internationale (UCI), l’autorité mondiale du cyclisme, et de l’Agence mondiale antidopage (AMA) a enfin permis de regarder vers l’avenir et surtout de tirer un trait définitif sur cette affaire de manière à me concentrer exclusivement sur le vélo et la course.» Enfin il précise solennellement: «Je ne déshonorerai jamais le maillot jaune.» Personne n’oubliera cette phrase.
Froome, après sa chute, à 6 km de l'arrivée...
Et peut-être que, dans trois semaines, personne n’aura oublié cette première étape. Du moins son final. Durant lequel une espèce de débandade s’empare du Tour, sous la forme de chutes successives. Lors du sprint attendu, le peloton s’en trouve écrémé: manque par exemple le Français Arnaud Démare. L’Italien Fernando Gaviria (Quick-Step) en profite pour dominer le Slovaque Peter Sagan et l’Allemand Marcel Kittel. Mais l’essentiel se déroule à l’arrière. A six kilomètres du but, Chris Froome ne sort pas indemne d’une séance de «frottage» intensif – à se demander ce qu’il cherchait. Résultat: une belle culbute par-dessus une banderole, avec atterrissage dans le bas-côté. Sans dommage physique apparent, hors quelques égratignures. Mais quand le boss des Sky reprend la route, en pleine préparation de l’arrivée tandis que les morts de faim se disputent la victoire à l’avant, l’affaire se complique inexorablement. Chasse vaine. Sur la ligne, le récent vainqueur du Giro perd une cinquantaine de secondes. De quoi s’inquiéter. Dans cette étape d'ouverture étonnante, d'autres prétendants au podium ou à la victoire cèdent eux aussi de précieuses secondes: l'Australien Richie Porte, le Britannique Adam Yates et, plus encore, le Colombien Nairo Quintana. Le Français Romain Bardet compte – temporairement – les points.
Et dans le regard de Chris Froome? Un peu moins d’assurance et de sérénité. Un soupçon de peur sans doute. L’épreuve, la vraie, vient de commencer pour lui. Elle est autant psychologique que physique, l’une et l’autre se vivant désormais dans une adversité sans borne…
Jean-Emmanuel Ducoin