Maurice Lemaître : le film est déjà fini ?

Publié le 07 juillet 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

C’est dans la discrétion que vient de disparaître Maurice Lemaître. Pour un des piliers du mouvement Lettriste, avec son créateur Isidore Isou, on pouvait envisager un écho plus encombrant à la manière de ces artistes indociles, parfois insupportables, toujours totalement convaincus de la prééminence indiscutable de leur mouvement et de sa place dans l’histoire. Car la vie entière de Maurice Lemaître n’a de sens qu’à l’aune de cet engagement indéfectible pour une vision totale du monde, dépassant l’approche de l’art pour englober toutes les créations humaines.
Une photo prise en 1961 à la galerie Weiller à Paris est trompeuse. Pour cette première exposition des œuvres lettristes avec Isou, Pomerand, Wolman et Lemaître, placée sous l’égide de la Biennale de Paris, la galerie de la rue Gît-le-cœur accueille des personnages un peu rigides, en costumes cravates, posant docilement pour le photographe.

Extrait du film « Le film est déjà commencé? Maurice Lemaître 1951

Comment pressentir à travers cette posture si convenue l’exaltation incontrôlable que les Isou et Lemaître notamment manifesteront dans leurs performances ? S’agit-t-il vraiment du même Maurice Lemaître qui va détruire rageusement une guitare sur scène lors d’une lecture poétique ? Est-ce véritablement le même Isidore Isou qui torturait la pellicule cinématographique en affirmant : « Je sculpterai des fleurs sur la pellicule, quitte à faire de ce désordre, un ordre neuf, demain, exactement comme Cézanne a fait de l’impressionnisme un art de musée » ? Maurice Lemaître, avec son film Le film est déjà commencé ?(1951) se lance à corps perdu dans une provocation d’avant-garde dont les secousses agiteront même la Nouvelle Vague.
Un objectif aussi global offrait un terrain non seulement de discussions mais aussi d’oppositions, de luttes, d’autant plus sévères que les protagonistes étaient plus proches.
Comme l’ensemble du mouvement Lettriste, le parcours de Maurice Lemaître a connu des périodes fastes et d’autres marquées par l’oubli. Mais les Lettristes ne meurent jamais quand bien même l’annonce de la mort de Lemaître il y a quelques jours contrarie fâcheusement cette affirmation.
C’est la seconde génération Lettriste qui, depuis la disparition d’ Isou et maintenant celle de Lemaître, entretient la flamme et poursuit avec une conviction absolue le combat pour la reconnaissance de son mouvement artistique comme avant-garde décisive de l’art de son temps. Cette armée n’est pas remarquable par son importance numérique mais bien davantage par l’engagement sans réserve de ses soldats. Dans ce régiment, ou plutôt cette compagnie, voire cet escadron, les combattants consacrent entièrement leur énergie au maintien de cette ambition absolue. Les Roland Sabatier, François Poyet, Gérard-Philippe, Anne-Catherine Caron notamment, sont aujourd’hui encore autant de fantassins dévoués corps et âmes à la pérennité du mouvement, héritiers irréductibles d’un Lettriste inscrit désormais dans l’Histoire.
Lorsque je rencontrai pour la première fois Maurice Lemaître au début des années soixante dix, le mouvement Lettriste se retrouvait quelque peu essoufflé après la florissante période des années cinquante et les tremblements de mai 68 dans lesquels les Lettristes ont vu les prémices de leur révolution annoncée. Pour les besoins d’un film, Maurice Lemaître avait bien voulu me confier des archives d’autant plus précieuses que la qualité technique des documents donnait à ces extraits de films l’aspect de trésors quasi archéologiques.
La vie de Maurice Lemaître ressemble à ces films lettristes, chahutés, torturés mais riches de cette volonté d’échapper aux formatages du cinéma, de la vie quoi.