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L’héroïsme supposé des soldats britanniques morts sur le front de la Grande Guerre cache parfois d’autres choses. Mais comment annoncer un décès dans une famille sans y mettre les formes ? Le père de John, facteur à Londres dans le quartier de Hoxton où, depuis des années, il connaît tout le monde, n’en pourra bientôt plus d’apporter aux parents les lettres très reconnaissables annonçant qu’un fils ne reviendra pas. Courrier des tranchées est un beau roman, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, sur le mensonge par omission, avec en arrière-plan les circonstances particulières d’un conflit qui n’en finit pas. John, requis par l’amour de la littérature et la beauté de Mary, ne compte pas s’y engager. Au contraire de son ami Martin, le frère de Mary, dont le côté un peu voyou s’accommode bien de vertus patriotiques. La guerre réjouit Martin, qui n’a pourtant pas l’âge d’aller botter le cul des Boches mais compte bien trouver le moyen d’être accepté dans l’armée. Il finira par aller vers des combats dont lui non plus ne reviendra pas. Mais le facteur n’a pas eu le courage de distribuer le courrier adressé à sa famille. La lettre semble concerner quelqu’un d’autre car Martin a, pour se vieillir, pris le prénom de son frère mort. John, après la mort de son père, sera le détenteur, muet lui aussi, de l’information. Il devient cependant de plus en plus difficile pour John de vivre à l’écart d’une guerre vers laquelle tout le monde le pousse : les jeunes gens de son âge qui ne s’engagent pas sont considérés comme des pleutres, la société les montre du doigt en leur faisant reproche de leur attitude. Si bien que lui aussi, en dépit du fait qu’il tient pour fausses les nouvelles de la guerre – encore des mensonges – finira par porter l’uniforme. De Londres bombardé aux tranchées, le décor reste tragique. Stefan Brijs n’en a pas fait le véritable cœur de son livre. Comment les mots des écrivains circulent et touchent les lecteurs, y compris la fiancée restée au pays à qui un soldat écrit en utilisant des phrases de Keats, voilà la vibration continue qui porte John. Puisque le réel l’a rattrapé, il doit y faire face, construire l’espace fragile dans lequel survivre, physiquement et mentalement, sur le front. La mort et la destruction sont partout, teintées du remords de n’avoir jamais dit à sa famille que Martin faisait partie des victimes. Le conflit intérieur est aussi présent que celui qui fait rage dans les rangs de l’armée.