Un homme qui cultive son jardin, comme le souhaitait Voltaire.
Celui qui est reconnaissant à la musique d’exister.
Celui qui découvre avec bonheur une étymologie.
Deux employés qui dans un café du Sud jouent une modeste partie d’échecs.
Le céramiste qui médite une couleur et une forme.
Le typographe qui compose bien cette page, qui peut-être ne lui plaît pas.
Une femme et un homme qui lisent les derniers tercets d’un certain chant.
Celui qui caresse un animal endormi.
Celui qui justifie ou cherche à justifier le mal qu’on lui a fait.
Celui qui est reconnaissant à Stevenson d’exister.
Celui qui préfère que les autres aient raison.
Tous ceux-là, qui s’ignorent, sauvent le monde.
*
Los justos
Un hombre que cultiva su jardín, como quería Voltaire.
El que agradece que en la tierra haya música.
El que descubre con placer una etimología.
Dos empleados que en un café del Sur juegan un silencioso ajedrez.
El ceramista que premedita un color y una forma.
El tipógrafo que compone bien esta página, que tal vez no le agrada.
Una mujer y un hombre que leen los tercetos finales de cierto canto.
El que acaricia a un animal dormido.
El que justifica o quiere justificar un mal que le han hecho.
El que agradece que en la tierra haya Stevenson.
El que prefiere que los otros tengan razón.
Esas personas, que se ignoran, están salvando el mundo.
*
The Just
A man who cultivates his garden, as Voltaire wished.
He who is grateful for the existence of music.
He who takes pleasure in tracing an etymology.
Two workmen playing, in a cafe in the South, a silent game of chess.
The potter, contemplating color and form.
The typographer who set this page well, though it may not please him.
A woman and man, who read the last tercets of a certain canto.
He who strokes a sleeping animal.
He who justifies, or wishes to, a wrong done him.
He who is grateful for the existence of Stevenson.
He who prefers others to be right.
These people, unaware, are saving the world.
***
Jorge Luis Borges (1899-1986) – La Cifra (Le Chiffre, 1981) – Œuvres complètes II (Gallimard, Pléiade, 2010) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Claude Esteban – Selected Poems: Volume 2 (Penguin Books, 2000) – Translated by Alastair Reid.