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Je voue un immense respect pour la grande romancière sénégalaise Aminata Sow Fall. Et je dois dire que lorsque j’ai rencontré il y deux ans cette maman de la littérature africaine au Centre Wallonie-Bruxelles, je fus marqué par le fait qu’elle avait suivi des échanges passionnants que j’avais eu avec l'économiste Ndack Kane sur mon blog autour d’un article portant sur La grève des battu. Comme je le répète, les statistiques froides de Google Analytics ne peuvent pas nous permettre de mesurer l’impact réel d’un article. Rien ne vaut une rencontre réelle. A ce propos, ma grande frustration lors de mon séjour au Sénégal l’an dernier fut de ne pas avoir pu réaliser mon expédition vers Saint-Louis pour rencontrer Aminata Sow Fall à l’occasion de la sortie de son roman L’empire du mensonge.
De nombreuses contraintes ne m’ont pas permis de lire d’une traite ce livre. D’ailleurs, c’est un roman qu’on ne peut pas lire en faisant des lectures en parallèle. Car le texte n’est pas forcément engageant. A prime abord. Il est apparemment simple. Mettant en scène de nombreux personnages rassemblés sur un lieu précis. Des hommes, des femmes, des enfants qui parlent, qui mangent dans une ambiance conviviale. On ne comprend pas trop les relations qui les unissent. Il y a juste une atmosphère heureuse. Heureuse, pas niaise. Heureuse. Vous savez, je pense tout de suite aux Marcheurs de Bougreville de Mahmoud Soumaré, une trilogie où la générosité imprègne ces romans de l’écrivain ivoirien. La générosité est un personnage à part entière chez Soumaré. Il y a quelque chose de cet ordre dans L’empire du mensonge d’Aminata Sow Fall. Et, il me semble essentiel de comprendre l’ascendance de Sada Waar qui au coeur des moments de communion, de retrouvailles qui introduisent le roman. Le grand père de Sada est un sérigne dont les actions ont marqué la région du Saloum et que ses descendants reprennent des contextes différents.
Ainsi, Mapaté le père de Sada mène une action sociale où il fait du tri d’ordure sur un lieu pourtant magnifique. Il est resté digne, lui qui a tout perdu en raison d'un urbanisme qui n'a pas su s'adapter à la poussée de l'exode rural. Et c’est là où en première lecture, le lecteur à l’impression de se perdre un peu. Sada, quant à lui, réussit après être pris très tardivement le chemin de l'école. Comment passe-t-on de la sympathique discussion où Sada Waar est gentiment accusé de faire preuve de mansuétude pour un politicien corrompu - Qui incarne un volet de l’empire du mensonge - à Mapaté Waar, ce personnage merveilleux, aimant qui malgré sa condition modeste donne sa chance un jeune homme rencontré lors d’une rixe. Il en fait son premier fils : Taaw Waar. Dans ce roman, on a l’impression de marcher un peu sur la tête tant la narration est inattendue, avec des transitions qu'on identifie pas jour. Il pourrait se lire en boucle en fait pour bien le comprendre. Sans imposer un discours social, sans invoquer une solidarité disparue, au travers de la lignée des Waar, des vies transformées par des hommes et des femmes marquées des attitudes altruistes. On n’est pourtant pas dans le monde des bisounours. D’ailleurs, tous ces personnages évoluent au fil des années.
La pauvreté n’exclut pas qu’on transmette des valeurs du travail, de partage, de dignité. Résilience, reconstruction. Et là, encore, Aminata Sow Fall, mieux que des discours, elle fait vivre à ses personnages des choix toujours libres et la passion de celles et ceux qui dépassent leur quotidien, en lui donnant un contour différent. C’est un livre assez déroutant. Et j’aurais l’honnêteté de dire que j’ai pendant un certain temps eu du mal saisir le fil d’Ariane que l’écrivaine sénégalaise me proposait. En finissant et en recommençant cette lecture, le propos s’impose comme original, complexe sur le plan de sa structure, mais renvoyant à des dialogues de tous les jours entre les différents personnages liés malgré les années, les migrations et les retours. C’est étonnant.
Aminata Sow Fall, L'empire du mensongeEditions Serpent à plumes (France), Editions Khouldia (Dakar), première parution en 2017Photo - Copyright Abass Abass Sow