Avant toute chose, Le premier jour du reste de ta vie frappe par son ambition. Le concept est fort : retracer douze années de la vie d’une famille en n’en filmant que cinq journées, cinq moments-clés comme autant de chapitres d’un formidable roman, chacun étant un poil plus recentré sur l’un des cinq membres de la famille. Un dispositif permettant de travailler sur l’ellipse, le discret et le continu, et d’éviter les creux. Mais le cinéma (et en particulier le cinéma français), c’est souvent beaucoup de promesses et rien derrière. Pas ici : ces belles intentions ont donné lieu à un film fort, plein et intense de bout en bout, qui varie les tonalités mais n’offre que du grand cinéma. D’abord parce que Bezançon sait écrire, comme il l’avait déjà montré pour le très sympathique Ma vie en l’air, comédie romantique en forme de galop d’essai. Peu d’auteurs auraient su broder un tel patchwork d’influences et d’émotions. Chaque personnage est un cadeau, un petit trésor que l’on conserve avec soi très longtemps après avoir quitté la salle. On ne se reconnaît pas dans l’un d’entre eux, mais dans tous à la fois. Ils sont universels mais pas stéréotypés. Ils ont une personnalité bien trempée mais ne sont pas de bêtes archétypes. Et les situations qu’ils vivent, burlesques ou tragiques, leur collent à la peau comme elles collent à la nôtre. Difficile de citer une scène plus qu’une autre tant tout se tient et se vaut : petits coups de cœur néanmoins pour un concours de air guitar (ceux qui ignorent encore ce qu’est cette drôle de pratique seront encore plus séduits) qui donne envie de se déhancher et d’être amoureux. Un modèle d’écriture, qui montre la précision et la chaleur du style Bezançon : on a envie de passer plus de temps encore avec tous les personnages, même ceux qui n’occupent qu’une séquence ou deux. Tant pis si ça a l’air parfaitement niais, mais ce film est à l’image de la vie : pas assez de temps avec ceux qu’on aime, et encore moins avec ceux qu’on aurait pu aimer.
Mais parce que les auteurs français ont souvent une plume mais rarement le style cinématographique qui va avec, Rémi Bezançon vient remettre les pendules à l’heure. Il adapte sa mise en scène à chacune des parties de son film, mais avec suffisamment de doigté pour que l’ensemble ne ressemble pas à un catalogue de styles. L’émotion prend toujours les devants sur l’aspect technique, et seule une analyse postérieure permet de réaliser l’ampleur du travail effectué derrière la caméra. Le premier jour du reste de ta vie, ce n’est pas seulement un grand scénario, c’est un condensé de pur cinéma, 100% sincère, épuré de toute esbroufe. C’est suffisamment rare pour être souligné. Et c’est confirmé par un casting façon profil bas, qui fait dans la prise de risques à bon escient. Malgré une étiquette d’acteurs sympathiques, Zabou Breitman et Jacques Gamblin ne sont pas spécialement bankables. Mais on imagine difficilement d’autres interprètes dans la peau de ce couple qui s’use progressivement et tente de retrouver un second souffle. Quant aux trois enfants, ils sont incarnés par un débutant (Pio Marmaï, un Vincent Elbaz version dandy) et deux jeunes pousses (Deborah François et Marc-André Grondin). Ce dernier, héros du film canadien C.R.A.Z.Y., est purement génial, sorte de cerise sur un gâteau plus que fameux. Ces cinq-là forment une famille, une vraie, à laquelle on croit de bout en bout, et que l’on rejoindrait volontiers au cours d’une des mémorables scènes de repas. Il convient d’y ajouter Roger Dumas, terrible en papy au cœur sec. Il faudrait citer tous les autres, jusqu’au bas du générique, tant chaque personnage, chaque détail, chaque réplique, confère au Premier jour du reste de ta vie une aura extrêmement rare, une beauté profonde faite d’éclats de rires et de larmes, d’euphorie et de dépit, d’erreurs de parcours et d’apothéoses. Il serait irresponsable de refuser un tel cadeau.
9/10
(sortie le 23 juillet)