Tiago Rodrigues
La Manufacture (Lausanne)
Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues
Traduction : Thomas Resendes
Assistanat à la mise en scène : Teresa Coutinho
Direction technique : Nicolas Berseth et Cárin Geada
Responsable son : Ponto Zurca
Avec les étudiant(e)s de la promotion 1 du Bachelor Théâtre de La Manufacture - Haute école des arts de la scène : Donatienne Amann, Raphaël Archinard, Julie Bugnard, Greg Ceppi, Angèle Colas, Isabela De Moraes Evangelista, Catherine Demiguel, Laura Den Hondt, Morgane Grandjean, Isumi Grichting, Camille Le Jeune, Pépin Mayette, Guillaume Miramond, Samuel Perthuis, Victor Poltier, Lucas Savioz
Coproduction : La Manufacture - Haute école des arts de la scène et le Teatro Nacional Dona Maria II.
Nada acontece como planeamos*
Hier soir nous avions le choix, douloureux comme tous les choix, celui d'aller vers " ", titre seyant comme un gant à un festival s'achevant, ou " Ça ne se passe jamais comme prévu ". La deuxième proposition paraissant plus ouverte que la première, plus définitive dans sa formulation, c'est avec un grand nombre d'amateurs d'imprévus que nous sommes entrés dans cette salle Paul Puaux, historique témoin du domaine d'O d'avant le Théâtre J-C Carrière.
Seize acteurs, seize jeunes acteurs et seize avenirs se livrent à nous, là sur les planches, car ce spectacle, n'est pas seulement un spectacle de sortie d'une école de théâtre, c'est aussi et surtout un spectacle à part entière.
Ici, je sens qu'arrive à grands pas (et à gros sabots) la sentence définitive : on ne joue pas dans un festival, digne de ce nom, un spectacle de fin d'étude ! Laissons la soirée récréative de fin d'année aux parents d'élèves... Ils sont là pour ça. Non ?
Voilà, c'est dit, classé, et maintenant revenons aux choses sérieuses.
Super boulot de Tiago autour de sa ville, d'une Lisbonne livrée par petit bout au hasard de lettres d'adieu. Une fiction motivante bâtie autour de la rencontre fortuite, et fugace, dans le Jardim do Principe Real de deux " amoureux " . Il en naîtra une quête de dix-sept jours et dix-sept lettres d'adieu et d'amour. Dix-sept lettres, interprétées chacune à leur tour par l'un des seize acteurs. Seize lettres dont ils sont, aussi, les auteurs, Tiago ayant introduit un peu de la personnalité de chaque élève-interprète dans la lettre lui étant destinée, et une dix-septième, chorale, sorte de " morale " à cette fable.
Une fable marquée de relents kafkaïens, la quête du Principe Real a bien quelque chose d'impossible a laquelle vient ajouter l'ambiguité real = royal et real = réel. On y retrouve l'idée folle d'une ville en perpétuelle évolution où, comme le travail de Pénélope, les rues se détricotent la nuit pour donner une nouvelle topographie et occulter l'accès au devenu mythique Parque Principe Real. Il y a même une rapide évocation des " vampires de l'Alfama" , une piscine olympique vide à Belém (moins les relents de chlore), un gantier nommé Ulysse... c'est dire que le Lisbonne de Tiago n'est pas celui offert aux touristes. Un rappel, traité parfois avec ironie, à l'œuvre du grand Camões, dont quatre vers pourraient contenir tout le spectacle : " Changent les temps, changent les volontés / Et change l'être et change la confiance / Car l'univers n'est fait que de mouvance / Prenant toujours nouvelles qualités ". Camões, un des plus importants pour Tiago Rodrigues.
La mise en scène est sobre, les éclairages bien posés, et le jeu des seize futurs professionnels agréable et accrocheur. Même si, reprenant pour le fun la belle image de Jean-Pierre Thibaudat, les acteurs, nouvelle cuvée de printemps, sont bien de saison, " encore un peu raides comme des asperges, et manquant souvent de sucre comme les premières fraises. "
" Tiago Rodrigues a cette originalité d'entrelacer trois niveaux de réalité dans ses spectacles, explique Frédéric Plazy, directeur de la Manufacture. Les acteurs jouent une fiction, c'est le premier niveau, livrent un peu de leur propre histoire, c'est le deuxième, tout en montrant qu'ils font partie d'un dispositif. Cette alternance de plans oblige chaque interprète à un engagement total. D'autant qu'ici Tiago n'a pas seulement écrit pendant les répétitions, ce qu'il fait toujours, il a demandé aux étudiants de lui fournir le matériau. "
Ça ne passe jamais comme prévu est le cap de toutes les espérances, une belle histoire qui relie Lisbonne et Lausanne, une histoire de théâtre et de vie !Marc Ely
* Rien ne se passe comme prévu, titre original en portugais.