On la verra ensuite très à l'aise parmi ses copains. Rien ne laisse supposer qu'un drame couve et que les amis avec qui elle s'éclate seront ses bourreaux ... au moment où Axel s'apprêtera à vivre son premier rapport sexuel avec la jeune fille qui a gagné son coeur (Pauline Briand).
Camille Bernon et Simon Bourgade se sont inspirés d’un fait divers qui s'est déroulé aux Etats-Unis il y a déjà 25 ans et qui pourrait hélas s'inscrire dans une actualité récente tant que l'homophobie demeurera un fléau. Brandon Teena, jeune transgenre, a été violée puis assassinée par ses amis quand ils ont découvert sa véritable identité. Les deux metteurs en scène auraient pu s'arrêter là. Ils ont fort intelligemment relié cette tragédie au mythe d’Iphis (puisé dans les Métamorphoses d’Ovide au premier siècle de notre ère) et à la reprise de ce mythe par Isaac de Benserade au XVII° siècle.
Nous voulons écrire un mythe contemporain qui réponde aux enjeux de cette figure, et comme en établir la généalogie : montrer comment – parce qu'on a toujours censuré, nié ou marginalisé cette partie de la population –, l'histoire n'a cessé de se répéter ; comment –parce qu'elle a été occultée –, elle est toujours au travail à travers le temps, depuis les mythes d'Ovide jusqu'à nos faits divers contemporains ; et comment elle a été, à chaque époque, source de violence.La scénographie imaginée par Benjamin Gabrié permet au spectateur d'avoir accès aux deux facettes de la personnalité d'Axel : l'image intime qui se joue dans une salle d'eau (à jardin) et l'image publique qui s'expose dans un coin salon (à cour). Le dédoublement se poursuit entre le passé, avec la projection d'extraits vidéo en fond de scène et le futur, qui se dénouera dans la voiture rouge-passion placée à l'avant-scène.
Au début de la pièce, les rôles sont (déjà) inversés puisque les comédiens, passablement imbibés, vautrés (Baptiste Chabauty et Mathieu Métral) devant une télévision sur un canapé défoncé, peuvent mater sans se faire remarquer (ils sont dans le noir) le public qui entre dans la salle inondée de lumière.
On s'interroge quelques minutes sur la tournure que les évènements vont prendre. Le sujet est risqué mais l'interprétation est extrêmement précise et Camille Bernon campe un personnage très juste et très touchant, bien au-delà de la question de son identité sexuelle.
Les identités sont mutantes, les dialogues aussi, jouant sur des registres que tout oppose : le langage chelou, âpre et souvent violent des tecis se heurte à poésie d'ovide et à la sophistication alexandrine de Benserade alors que les témoignages apportent une touche de réalisme confondant.
Jouant sur des niveaux de langue différents, l’histoire se tricote d’une époque à l’autre sans rupture de la trame narrative. On passe de la crudité des dialogues adolescents, à des archives documentaires du film sur Brandon Teena, de la poésie des textes d’Ovide à la préciosité des alexandrins de la pièce de Benserade.
Le drame est joué comme un polar pour terminer dans une forme de résurrection magique symbolisée par la métamorphose d'Axel, qui devient une statue dorée sous les doigts de sa mère.
On aurait envie de croire que tout va bien finir mais la beauté de cette image ne doit pas faire écran à la dure réalité des faits. Change me est un théâtre engagé et brillamment engageant qui interroge bien au-delà de la question du genre sur la liberté d'aimer.
Change Me
D'après Ovide, Isaac De Benserade et la vie de Brandon Teena
Mise en scène : Camille Bernon et Simon Bourgade
Avec Camille Bernon, Pauline Bolcatto, Pauline Briand, Baptiste Chabauty et Mathieu Metral Scénographie Benjamin Gabrié
Création vidéo Raphaëlle Uriewicz
Lumières Coralie Pacreau
Son Vassili Bertrand d’après le film de Susan Muska et Greta Olafsdottir
Au théâtre de La Tempête
Du 23 mai au 10 juin 2018
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Benjamin Porée