Où l'on parle de comment Emmanuel Macron tente de ré-habiller en victoire de l'Europe humaniste ce qui n'est qu'une capitulation devant la xénophobie.
Décryptage.
La xénophobie comme politiqueIls sont souriants, presque béats. Après une journée et une nuit de négociation, un représentant des chefs d’État européens vient expliquer vers 4 heures du matin, dans une salle de presse truffée de journalistes à moitié endormi, que l'Union européenne a encore gagné: les divisions des jours précédents ont été vaincus et un accord sur les migrants est trouvé.
Sur le dos des migrants, rien de moins.
C'est la seconde fois que l'Union nous offre une farce, mais celle-ci est triste et grave. La semaine passée déjà, Macron avait fait croire que la zone euro se dotait d'un budget avec le soutien d'Angela Merkel, jolie blague. Bien au contraire, Macron y a accepté un énième renforcement des pouvoirs du Mécanisme Européen de Stabilité...
L'Union européenne, qu'on ne confondra pas avec l'Europe, s'est couchée. Elle s'est alignée sur les positions d'un ministre italien neofasciste. D'ailleurs, le président du conseil italien ne s'y trompe pas: "l'Italie n'est plus seule". Quelle avancée !
Il fallait lire le relevé officiel des conclusions de ce sommet de la honte. Les chefs d’États se félicitent de l'efficacité des fermetures aux frontières: "le nombre de franchissements illégaux des frontières de l'UE détectés a été réduit de 95 % par rapport au pic qu'il avait atteint en octobre 2015". Ils n'ont pas tort. Le nombre de migrants traversant la Méditerranée a chuté de un million en 2015 à 43 000 en 2018.
La seconde conclusion commune est sans appel sur les intentions de nos gouvernants européens et la réorientation xénophobe de la politique européenne: "Le Conseil européen est déterminé à poursuivre et à renforcer cette politique pour empêcher que ne se reproduisent les flux incontrôlés de 2015 et endiguer davantage les migrations illégales sur toutes les routes existantes et émergentes." Et d'ajouter que "l'UE soutiendra, financièrement et par d'autres moyens, tous les efforts consentis par les États membres, en particulier l'Espagne, et les pays d'origine et de transit, en particulier le Maroc, pour prévenir la migration illégale".
Où est passée la belle Europe, celle chantée haut et fort par le jeune monarque ? Celle louée en alexandrin par le candidat Macron en 2017 qui n'avait pas de mots assez doux pour louer les traditions d'accueil de l'Europe humaniste ?
Pour "casser définitivement le modèle économique des passeurs", les chefs d’États mettent les grands moyens: les chefs d'Etats européens s'engagent à "examiner sans tarder le concept de plateformes régionales de débarquement". La Commission européenne, toujours présidée par Jean-Claude Junker, ex-premier ministre de l'un des paradis fiscaux européens, a justement proposé un plan d'action dont le premier scenario est de créer des centres de "débarquement" et de rétention aux frontières de l'Europe: elle propose "d'augmenter les capacités de rétention et de détention aux frontières de l'Union". Dans un second scenario, elle propose de créer des centres de tri "dans les pays tiers", pour éviter l'embarquement vers l'Europe.
Notez le langage, emprunté aux fantasmes de l'extrême droite européenne: le Conseil européen est "déterminé à poursuivre et à renforcer cette politique pour empêcher que ne se reproduisent les flux incontrôlés de 2015".
Troisième point d'accord, "tous les navires qui opèrent dans la Méditerranée doivent respecter les lois applicables et ne pas faire obstacle aux opérations des garde-côtes libyens." Quatrième point d'accord, "prévenir de nouveaux franchissements à partir de la Turquie et mettre un terme aux flux". Sous-traiter la gestion des réfugiés fuyant les guerres du Moyen Orient à l'autocrate islamiste turc, voilà au moins un objectif qui est explicite. Cinquième point d'accord, sur l'accueil des migrants: et bien d'abord, "uniquement sur une base volontaire", pour faire le tri "entre les migrants en situation irrégulière, qui feront l'objet d'un retour, des personnes ayant besoin d'une protection internationale, auxquelles le principe de solidarité s'appliquerait." Notez l'usage du conditionnel. Et si l'on n'avait compris, les 28 insistent sur l'absence d'obligation; "Toutes les mesures dans le contexte de ces centres contrôlés, y compris la relocalisation et la réinstallation, s'entendent sur une base volontaire, sans préjudice de la réforme de Dublin."
Le gouvernement italien l'a bien compris. Le ministre Salvini annonce quelques heures plus tard que tous les bateaux chargés de migrants, à la dérive ou non, seront interdits d'accostage sur les côtes pendant tout l'été. Samedi, il refoule un autre bateau de migrant à dérive, tandis que 200 autres, dotn 3 bébés, sont repêchés morts dans la mer.
Qui a parlé d'Europe ?
Depuis janvier, quelque 1000 migrants sont morts noyés dans la Méditerranée en tentant de rejoindre les côtes européennes.
Le reste du relevé de décisions comprend aussi l'annonce d'une prochaine loi européenne "en vue d'une politique européenne plus efficace et cohérente en matière de retour." Décidément, c'est une obsession. Le lavage xénophobe des cerveaux européens, en pleine crise humanitaire, fonctionne à plein.
Le règlement de Dublin est mort.
L'espace Schengen est également techniquement mort: nos 28 autorisent les États membres" à prendre toutes les mesures législatives et administratives internes nécessaires pour enrayer ces mouvements et coopérer étroitement à cette fin."
La dernière conclusion, marginale, concerne "la réforme en vue d'un nouveau régime d'asile européen commun". Et là, la panne, pas d'accord, juste des intentions, belles ou moches, aucun engagement, pas même un consensus précis: on promet cet "équilibre entre responsabilité et solidarité" si cher à Jupiter: "en même temps", qui espérait mieux ?
La trouille de Macron
Au final, le résultat est clair, limpide. Le jeune monarque s'est aligné sur la ligne dure et xénophobes des positions italiennes , autrichiennes et hongroises. Quel succès !
Devant la presse, Emmanuel Macron est blême. Il tente de faire bonne figure, il ment, il, se défausse. Il bredouille des excuses: "Ce que certains proposaient, c’était des centres extérieurs à l’Union européenne, pour refouler les migrants. La réalité est que, sous des mots techniques, ils proposaient de déporter des gens…" Vraiment ? Finalement, les chefs d'Etats européens ont justement demandé à la Commission européenne d'évaluer la faisabilité de ces "plateformes régionales de débarquement" - notez la novlangue technocratique. Macron a voté, soutenu, défendu, accepter l'assignation à résidence des migrants sur les côtes du Maghreb,
Et nous mitraille de tweets trumpesques lénifiants: "Face à la crise migratoire : l'Europe à la hauteur de son histoire." L'Europe aurait été sauvée, elle vient d'être coulée.
Macron ment quand il explique que l'Union européenne est "sauvée". Pire, il ment quand il promet le rétablissement de l'accueil des migrants, ce que l'Italie dément aussitôt. Pire encore, le même Jupiter se défausse encore, rassurez-vous gentes dames et jolis messieurs: "la France n’est pas un pays de première arrivée. Certains ont voulu nous pousser à cela, j’ai refusé", explique Macron.
"La France n’ouvrira pas de centres" car elle "n’est pas un pays de première arrivée."
Le même jour, jour de honte, les élus corses votent à l'unanimité une motion d'accueil des migrants, et "la création d’une commission ad hoc composée de membres de l’Assemblée de Corse, de présidents d’intercommunalités, de maires et des services de l’Etat chargée de trouver des solutions pour un accueil efficace des migrants."
La Corse donne des leçons de République à la macronista.
Dans les colonnes de Mediapart, Eric Fassin résume, "mieux vaut parler d’un «moment néofasciste» du néolibéralisme pour mobiliser un antifascisme qui, loin d’être la caution démocratique du néolibéralisme, pointe sa responsabilité." Eva Joly, ancienne magistrate et ancienne candidate écolo à la présidence de la République, résume: "la vérité est que cet accord signe la fin du droit d’asile sans rien régler de la souffrance des migrants les idées de l’extrême droite plutôt que d’être combattues deviennent désormais des politiques européennes."
Au-delà de l'aspect humanitaire, la question politique qui se pose désormais à Macron et ses supporteurs est simple: en faveur de quelle Europe les macronistes pourront-ils faire campagne pour le prochain scrutin européen ? Celle qui expulse plus vite des réfugiés dont elle réduit les délais de dépôts de dossier à 15 jours ? Celle qui reste indifférente aux barques qui coulent ? Celle qui pinaille sur l'accueil d'une cinquantaine de milliers de migrants ? Celle qui promet la libération des esprits et du capital mais exige l'assignation à résidence des pauvres du monde ? Il y a urgence en Macronista pour tenter de redorer le blason européen du jeune monarque. Il décroche dans les sondages, surtout et principalement à gauche.
Macron a tourné le dos à son discours euro-béat de la campagne de 2017 pour s'aligner sur les positions de l'extrême droite européenne: il fait poursuivre en justice les aidants, il interdit aux ONG de servir des repas et des soins; il réduit le droit d'asile au nom de l'efficacité du traitement des dossiers. Mercredi, comme le ministre néofascite italien Salvini, il fustige même les ONG qui portent au secours aux embarcations de fortune en les accusant de "faire le jeu des passeurs". Au Sénat, les élus de droite réduisent l'Aide Médicale d'Etat, et un élu LR justifie la mesure au nom de la lutte contre le "tourisme médical" des migrants. Le sénateur LR Gérard Larcher
Jupiter le catholique
La République s'égare, la Macronista l'achève.
Mardi, le jeune monarque abime la laïcité par sa visite au Vatican: ses communicants postent quelques extraits vidéo sur les réseaux sociaux où l'on entend ce président se féliciter de son éducation chez les jésuites devant le pape François, faire une mauvaise blague sur les Bretons, cette "mafia française". Puis ces propos inouïs, la religion "est partout dans la société. Et nous en avons anthropologiquement, ontologiquement, métaphysiquement besoin."
Le Printemps Républicain si prompt à s'indigner contre l'islam fait silence, ou presque. Quelques propos à peine, gênés. Au Vatican, Macron nous fait du Sarko, n'hésitant pas à reprendre l'argument des racines chrétiennes de la France si "nécessaires" en ces temps troublés.
"Nous ne pouvons pas avancer si nous ne savons pas d’où nous venons et quelles sont nos racines profondes, nos traditions avec leurs histoires, et donc le lien particulier qu’il y a aussi entre la République française et le Vatican, c’est une part de cette histoire." Emmanuel Macron devant le pape, juin 2018A Paris, les députés macronistes votent le retrait des associations à vocation cultuelle de la liste des lobbies. Mais 80 d'entre eux s'indignent, en vain.
Peu à peu, pas à pas, l'Union européenne suit le chemin étriqué, fatiguant, inefficace, d'une politique inégalitaire et xénophobe. En France, le jeune Jupiter sert les plats avec philosophie et application. Il couine qu'on s'attaque à sa propre personne: "Après avoir échoué sur une coagulation des luttes, ils instruisent un procès sur ma personne." Mais comment oublier les promesses du nouveau monde, cette piscine qu'il a demandé eu fort de Brégançon, ces voyages en jet privé aux frais du contribuable, ou la récente instruction sur les dépenses illégales de campagne? Et voici sa ministre du travail se fait photographier en position de yoga dans un jardin de la République.
Les temps sont rudes.
Ami macroniste, où es-tu ?