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lac devant

Publié le 30 juin 2018 par Modotcom

lac devantle lac ontario devant le drake devonshire
crédit photo : caleigh
quand j'ai le temps
j'essaye de devenir une meilleure personne
je veux dire
que j'essaye consciemment
quand je dis à l'homme-chat
wah tu as une bonne mémoire
parce que je ne me souviens pas d'un fait
comme je ne me souviens jamais de rien
et qu'il me répond avec raison
je n'ai pas une bonne mémoire
c'est toi qui en as une mauvaise
ben oui
c'est vrai
je me force je réfléchis
et maudit
aussi loin que je fouille
je ne me souviens plus que le petit traiteur sur la rue masson
dont nous connaissions pourtant les soeurs propriétaires
dans une autre vie
et auquel je pense
car nous venons de passer devant les bureaux de réno-dépôt
maintenant fermés
un coin de rue à l'ouest de la brasserie harricana
et que marie-claude y travaillait
maudit
je ne me souviens plus que ce petit traiteur s'appelle
la tête dans les chaudrons
et je ne me souviens même plus
à l'occasion de quelle naissance j'y suis allée chercher
un certificat-cadeau pour une maman
trop occupée à nourrir de ses seins ses deux jumeaux
et qui apprécierait sûrement
que son mari lui ramène des lunchs tout préparés
mais mon mari lui
il s'en souvient
il se souvient de tout
à ma place
et c'est pour cela que je suis si faillible
parce que j'ai des béquilles
j'ai pleins de béquilles
readily accessible dans la vie
plug-and-play de facilité
bref
je me force à me souvenir
des fois j'y arrive
et des fois
je n'y arrive juste pas
et je n'ai pas besoin de m'enrager
j'ai juste besoin de faire un effort
et quand il ne donne aucun résultat
j'utilise google
harari a répété dans un des nombreux chapitres
de son bouquin sapiens
qu'un état de bien-être est atteint par les bouddhistes
lorsqu'ils arrivent à être complètement détachés
de leurs émotions par la voie de la méditation
j'essaye des fois de méditer
et de capturer consciemment les émotions que je vis
puis de les observer simplement
venir et partir
j'essaye de faire ça aussi
avec mes sensations physiques quand je cours
pour me faire croire
qu'en observant la douleur
j'ai moins mal
je vous jure que ça ne fonctionne pour moi
que l'espace de quelques instants
lorsque la douleur est là
elle est vraiment là
peu importe ce que j'en pense
okay oui vous me direz
les émotions aussi sont là
il faut juste les vivre avec détachement
jeudi matin
j'ai regardé le lac
et me suis demandée tout en sachant vaguement
un truc relatif au magnétisme de la lune
comment il se faisait que l'eau se déplace en marées
et je me suis mise à suivre des yeux
les vagues venant à moi
je pense que j'aurais pu faire ça
pendant quelques heures
et laisser mon esprit ainsi divaguer
jusqu'à ressentir le vide
c'était assez agréable
d'essayer de dessiner mentalement
en deux dimensions
cette masse mouvante
que mon esprit ne peut concevoir autrement
que par la vue et le son
ce matin-là
nous sommes partis en pick-up
à travers les routes du prince edward county
dans les terres de la couronne que les héritiers loyalistes
ont transformées en vignobles et autres cultures maraîchères
pour aller boire du vin
dans ces décors féeriques
mon esprit reposé errait encore
et lorsque j'avais des envies des désirs et des attentes
j'étais capable de les suspendre
et de m'en débarrasser
mais c'était facile
je n'avais aucun horaire à respecter
et je me foutais même presque des quatorze heures
auxquelles nous attendait un match de foot
entre la belgique et l'angleterre
et pendant lequel je prendrais innocemment le parti belge
au sein d'un public britannophile
de surcroît dans une brasserie
houblon bien en main
je n'ai pas envie de méditer
et de passer ma vie à être détachée
c'est d'une absurdité sans bornes
de penser que le but de la vie
c'est de la passer à devenir zen
mais autrement ma vie est insatiable
je veux incessamment ressentir l'afflux de sérotonine
je ne suis jamais comblée
un plaisir furtif n'attend pas l'autre
j'ai à peine le temps de m'émerveiller
que déjà je m'ennuie
je veux changer de décor
je veux refaire la maison apprendre de nouvelles choses
j'ai perdu l'art de la contemplation
que je chérissais tant dans mon adolescence
l'art de ne rien faire et d'être juste bien
je pense que mon problème
c'est qu'aujourd'hui
lorsque ma tête me donne cent idées
j'ai la capacité de les réaliser
alors soit je bouge sans arrêt
j'avance à toute vitesse
soit je suis terrorisée
et anxieuse de manquer le bateau
de laisser passer une opportunité
peut-être ai-je besoin de regarder un lac
pendant encore un ou deux jours
et dépoussiérer mon intérieur
j'ai besoin de balant
(mais crisse qu'il y en a des maringouins)!

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