Louise O'Neill
Editions Stéphane Marsan
Traduit de l'anglais par Nathalie Guillaume
Mai 2018
288 pages
18 euros
Roman contemporain/ Young adult
Quatrième de couverture : "Quand tu prononces un mot comme celui-ci, tu ne peux plus faire marche arrière. Fais comme s'il ne s'était rien passé. C'est plus simple comme ça. Plus simple pour toi". Emma a dix-huit ans, c'est la plus jolie fille du lycée. En plus d'être belle, elle est pleine d'espoir en l'avenir. Cette nuit-là, il y a une fête, et tous les regards sont braqués sur elle. Le lendemain matin, ses parents la retrouvent inanimée devant la maison. Elle ne se souvient de rien. Tous les autres sont au courant. Les photographies prises au cours de la soirée circulent sur les réseaux sociaux, dévoilant en détail ce qu'Emma a subi. Les réactions haineuses ne se font pas attendre ; les gens refusent parfois de voir ce qu'ils ont sous les yeux. La vie d'Emma est brisée ? Certains diront qu'elle l'a bien cherché.
Après Les immortalistes qui a frôlé le coup de coeur, je peux vous dire que cette deuxième lecture des éditions Stéphane Marsan est foudroyante, essentielle, percutante. Stéphane Marsan Editeur mène une petite révolution du côté des romans contemporains. C'est le deuxième titre que je lis et je suis impressionnée par les choix, la qualité des auteurs, l'engagement éditorial. Dans Une fille facile, Louise O'Neill nous livre l'histoire violente et révoltante du viol d'une adolescente lors d'une fête alcoolisée. J'en ressors émue et profondément bouleversée par la teneur du propos mais par sa fin, réaliste et brutale. Il n'y a pas de happy end ni même de justice et ce livre dénonce la culture du viol et sa mise en avant sur les réseaux sociaux. C'est pourquoi j'en suis ressortie affectée.
Au début cette lecture a été difficile pour deux raisons. Tout d'abord Emma est une jeune fille populaire, belle, attirante mais elle est aussi particulièrement acide envers ses amies, prétentieuse, capricieuse voire même arrogante. En gros on la déteste. C'est une fille que je n'aurais pas pu apprécié et je la trouve un brin hypocrite, ne disant pas tout haut ce qu'elle pense de ses amies et de son entourage. C'est donc une anti-héroïne, un personnage type de la fille qu'on déteste puis arrive cette soirée où tout bascule. Sûre d'elle, se sentant irrésistible, elle va draguer un mec, boire un peu trop, prendre de la drogue... si elle se souvient de sa première relation sexuelle, le lendemain matin ses souvenirs sont flous voire néants. Ce sont ses parents qui la retrouve en plein soleil, allongée, dénudée, couverte de vomi sur le devant de leur porte. Que s'est-il passé ? Comment est-elle arrivée là ?Elle va vite le savoir car sur Facebook une vidéo tourne en boucle... une fille, plusieurs garçons de son lycée, des viols et des scènes particulièrement révoltantes et choquantes. L'incompréhension, le déni, la colère, l'incrédulité... Emma ne se souvient de rien mais l'affaire au lycée prend vite une autre ampleur...Je ne vous en dis pas plus mais Une fille facile est une lecture à ne pas manquer. L'écriture de Louise O'Neill est froide, plutôt distante et son style peut paraître impersonnel mais il est subtil, intense et violent. Elle ne nous épargne rien et si le viol en soi est déjà choquant et condamnable, c'est tout ce qu'il y a autour qui est brutal et qui fait mal. Il n'y a pas que du viol, il y a aussi l'humiliation, des scènes obscènes et dégoûtantes, il y a la vidéo rendue public, que personne ne devrait faire subir à une femme, à un être humain. Il n'y a donc pas que le viol, il y a toutes les circonstances autour : la culture des réseaux sociaux, le défoulement des commentaires, le jugement des gens du village.Louise O'Neill explique bien le déroulement de l'intrigue avec la découverte des faits, les mécanismes d'auto-défense puis de culpabilité de Emma, son renfermement, sa honte, provoquant chez le lecteur le questionnement essentiel. Certes Emma a bu, était peu habillée, mais elle ne méritait pas ça. Après l'ahurissement vient le temps de la prise en charge par le lycée de l'affaire et j'ai trouvé le CPE très réactif (pas comme dans Treize raisons)... mais ce qui m'a choqué c'est que Emma va être jugée et pointée du doigt. La fin m'a laissé un goût amer parce qu'elle est malheureusement crédible : en Irlande seulement 1% des affaires de viol fait l'objet d'une condamnation. Les violeurs s'en sortent indemne parfois même avec les honneurs comme c'est le cas dans le roman. C'est scandaleux. Une lecture nécessaire, obligatoire même, tellement le propos est d'actualité. L'auteure a réussi le tour de force de rendre Emma attachante, à ce que le lecteur éprouve de la compassion pour elle malgré un comportement douteux en début de roman. Certes elle était agaçante, menteuse mais elle ne méritait pas ce qu'il s'est passé. Sa décision finale est terrible mais tellement courageuse et altruiste, cela m'a fendu le coeur pour elle. Un roman choc, une lecture poignante, sensible et bouleversante... je suis soufflée.