La saison des feux de Celeste Ng 5/5 (15-05-2018)
La saison des feux (384 pages) est sorti le 5 avril 2018 aux Editions Sonatine (traduction : Fabrice Pointreau).
L'histoire (éditeur) :
À Shaker Heights, banlieue riche et tranquille de Cleveland, tout est soigneusement planifié pour le bonheur des résidents. Rien ne dépasse, rien ne déborde, à l’image de l’existence parfaitement réglée d’Elena Richardson, femme au foyer exemplaire. Lorsque Mia Warren, une mère célibataire et bohème, vient s’installer dans cette bulle idyllique avec sa fille Pearl, les relations avec la famille Richardson sont d’abord chaleureuses. Mais peu à peu, leur présence commence à mettre en péril l’entente qui règne entre les voisins. Et la tension monte dangereusement à Shaker Heights.
Mon avis :
Shaker Heights, conçue en 1912banlieue parfaite de Cleveland où tout est pour que ses habitants (riches) mènent une existence parfaitement réglée, sans aucun souci ni tracas, mais pas sans de nombreuses règles. A Shaker Heights, l’une des 1ere villes planifiées de la nation, vit la famille Richardson, famille éblouissante qui dégage une force et une confiance en elle naturelle.
« Saker Heights avait été fondée non pas sur les principes des Shakers, mais avec la même idée de créer une Utopie. L’ordre et les régulations dont découlait étaient selon eux la clé de l’harmonie. Alors ils avaient tout régulé : l’heure à laquelle il fallait se lever le matin, la couleur que devaient avoir les rideaux aux fenêtres, la longueur que devaient avoir les cheveux des hommes, la façon dont il fallait joindre les mains pour prier (le pouce droit par-dessus le gauche).
Les Shaker croyaient qu’en planifiant chaque détail, ils pourraient créer un bout de paradis sur terre, un petit refuge loin du monde, et les fondateurs de Shaker Heights avaient cru la même chose. » Page 33-34
Au petit matin, la maison des Richardson prend feu. Pour tous, il ne fait aucun doute de la responsabilité d’Izzy, la benjamine de la famille, jeune fille de 14 ans impulsive, déterminée et régulièrement en conflit avec sa mère, considérée comme « un peu cinglée » par ses frère et sœur et seule présente sur les lieu (pendant que madame Richardson faisait la grasse matinée).
« Elle avait appris, avec la naissance d’Izzy, que l’existence pouvait suivre son petit bonhomme de chemin puis, sans prévenir, dévier spectaculairement de sa course. Chaque fois que Madame Richardson regardait sa file, cette sensation qu’elle ne contrôlait plus rien la saisissait, comme un muscle qu’elle ne parvenait pas à décrisper. » Page 130
Pour comprendre cet incident, impossible de ne pas revenir en arrière, 11 mois plus tôt, lorsque Mia, artiste et mère célibataire, et Pearl sa fille de 15 ans, louent l’appartement du haut de la maison située sur Winslow Road appartement à Elena et Bill Richardson.
Moody Richardson, du même âge que Pearl, sympathise tout de suite, subjugué par le mode de vie (sans attache) et l’esprit bohème qui se dégage des deux femmes. Il rapproche ainsi les deux familles. Pearl s’entiche alors avec une incroyable facilité de la famille Richardson chez qui elle est toujours fourrée, proche de Moody et Lexie mais espérant attirer le regard de Trip le grand frère, tandis que Lizzie, la dernière voue une fascination toute particulière à Mia.
La saison des feux est la confrontation de deux mondes, l’un parfaitement réglé, aseptisé, et pourtant naturellement expansif dans ses sentiments, lisse et blanche en apparence, l’autre libre et sans contraintes mais également marqué par une absence de démonstration et un lourd bagage de secrets. Alors que Mia Warren fait figure d’électron libre, plane cette fois ci l’espoir qu’elles finissent par se poser, laissant ainsi à Pearl l’occasion de grandir avec plus de stabilité et nouer enfin des relations…
La saison des feux est un roman particulièrement envoûtant et efficace. L’évocation du feu est partout, distillé dans les conversations, omniprésent dans la narration, en toile de fond comme inévitable, accentuant cette tension sous-jacente qui délicatement laisse pressentir le drame.
« Elle savait reconnaitre une âme sœur, savait repérer l’étincelle subversive semblable à celle qu’elle sentait souvent bruler en elle. » page 106
« Quelque chose en elle la toucha, et une flamme s’alluma. » Page 107
« Toute sa vie elle avait appris que la passion, comme le feu, était une chose dangereuse. Elle devenait si facilement incontrôlable. Elle escaladait les murs et bondissait par-dessus les tranchées. Les étincelles sautaient comme des puces et se répandaient tout aussi rapidement, une brise pouvait charrier les braises sur des kilomètres. Mieux valait contrôler cette étincelle et la transmettrai prudemment d’une génération à l’autre, comme une torche olympique. Ou, peut-être, l’entretenir attentivement comme une flamme éternelle : un rappel de la lumière et e la bonté qui jamais n’embraserait rien Soigneusement contrôlée. Domestiquée. Heureuse en captivité. La clé, pensait-elle, était d’éviter tout déflagration. » Page 183
« « Parfois quand on croit que tout est fini, on trouve un moyen. » Mia se creusa la tête pour trouver une comparaison. « C’est comme un feu de prairie. J’en ai vu un, il y a des années, quand nous étions dans le Nebraska. On aurait dit la fin du monde. La terre était calcinée et noire, et tout le vert était parti. Mais après avoir brûlé, le sol est plus riche, et la végétation peut repousser. (…) Les gens sont pareils, tu sais. Ils repartent de zéro. Ils trouvent un moyen. » » Page330
Bien que le lecteur soit dès le début confronté à l’incendie, ce premier chapitre n’élève rien au suspens qui se construit par la suite car c’est une tout autre catastrophe que l’on sent poindre et qui doucement se dessine à mesure que les protagonistes révèlent leurs secrets alors qu’un conflit juridique divisent la population. Le brasier semble inéluctable et cette menace constante rend la lecture d’autant plus envoûtante.
L’auteure donne du corps aux personnages, elle imprègne sa narration d’une certaine sensualité, parfois marque l’absurdité ou la gravité… juste par une description de quelques lignes, une scène de quelques secondes pourtant banale, elle réussit à dégager beaucoup de choses. Céleste Ng possède une écriture délicieuse, ronde, subtile. Elle mise ici sur la dualité, sur les contradictions pour nous servir un roman psychologie aussi beau que bon où il est question de classes sociale et beaucoup de maternité.
La saison des feux est vraiment un très bon roman dont les tenants et les aboutissants restent très longtemps tenus secrets, dévoilés délicatement par petites touches à mesure que se dessinent des personnages subtils, réalistes et fascinants. Le tout enrobé dans une narration délicieusement esthétique qui m’a conquise.
« Les règles existaient pour une raison : si vous les suiviez, vous réussiriez ; sinon, vous risquiez de réduite le monde en cendres.
Et pourtant il y avait Mia, qui créait un tel traumatise chez Linda, comme si celle-ci n’avait pas déjà traversé assez d’épreuve, comme si Mia était une mère exemplaire. Traînant son enfant sans père d’un endroit à l’autre, survivant grâce à des petits boulots, justifiant tout ça en se persuadant – en persuadant tout le monde - qu’elle faisait de l’Art. Fouinant dans les affaires des autres avec ses sales pattes. Créant de problèmes. Allumant imprudemment des étincelles. Madame Richardson bouillonnait et au plus profond d’elle-même, la rage brûlante qui avait été soigneusement contenue s’enflammait. Mia faisait tout ce qu’elle voulait, et qu’est-ce que ça donnerait ? Un déchirement pour sa plus vieille amie. Le chaos pour tout le monde. On ne peut pas simplement faire ce qu’on veut, songeait-elle. Pourquoi Mia en aurait-elle le droit, quand personne d’autre e le faisait. » Page 183
Bref, j’ai adoré !